Univers, Multivers et Simulation
(Quelques remarques concernant le Multivers)
CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
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(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 06/08/2020 et mise à jour le 28/10/2024 17:28:30 -CET-)
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Mots-Clefs : Multiverse, Multivers.
Il y a bien longtemps, nos ancêtres considéraient que la Terre était immobile et au centre de l'Univers.
Cette conception n'était en rien ridicule puisque c'était ce que nos sens nous révèlaient (et nous révèlent encore aujourd'hui...), en l'absence de
moyens d'observation appropriés. C'était le géocentrisme.
Même si avant lui, Aristarque de Samos (~310-230 avant Jésus Christ)
ou encore Hypatie d'Alexandrie (quatrième siècle de notre ère) avaient eu
l'intuition de l'héliocentrisme,
il fallu attendre 1543 pour que Nicolas Copernic (De revolutionibus orbium caelestium libri VI)
"place" le Soleil au centre de l'Univers et fasse de la Terre une planète comme les autres.
Les moyens d'observation progressant, ce fut ensuite au tour de notre Soleil
d'être "rétrogradé", devenant ainsi une étoile comme les autres parmi ses sœurs
au cœur d'une unique galaxie, la Voie Lactée.
De nouveaux progrès révélèrent ensuite, au cours du vingtième siècle,
que notre galaxie n'était qu'une parmi des centaines de milliards d'autres dans un Univers peut-être infini...
Qu'en est-il aujourd'hui ? Allons-nous de nouveau subir un déclassement ?
Longtemps on a espéré justifier la situation privilégiée de la Terre à partir
des lois Mathématiques de la Physique :
à bonne distance du Soleil (permettant ainsi à l'eau d'y être liquide), présence
d'un champ magnétique protecteur (des agressions venant du Soleil ou de plus loin...), existence d'un satellite stabilisateur (la Lune),...
Képler s'y essaya en associant à chacune des cinq planètes alors connues l'un des solides platoniciens.
Les lois de Newton, bien que permettant de calculer avec une bonne précision la trajectoire des planètes
du système solaire, demandaient que des "conditions initiales" (la position des corps dans l'espace à instant donné)
leurs soient communiquées et celles-ci ne pouvaient malheureusement qu'être mesurées et non déduites de ces mêmes lois...
On considère aujourd'hui que la situation si favorable de la Terre est le résultat des conditions de formation du Soleil et de
son cortège de planètes : il s'agit fort probablement d'un heureux hasard !
Or depuis la découverte de la première exo-planète (51 Pegasi b) en 1995 par Michel Mayor (Prix Nobel de Physique 2019)
des milliers d'autres ont été identifiées et il semble donc que la plupart des étoiles possèdent un tel cortège.
Mais ce qui fut découvert simultanément c'est que le système solaire ne serait pas représentatif. Il semblerait même
que tout soit possible : des planètes telluriques (comme la Terre) proches ou loins de leur étoile,
des planètes gazeuses (comme Jupiter) proches ou loins de leur étoile,... en notant malgré tout que les méthodes
de détection actuellement utilisées (méthode dite du transit d'une planète devant son étoile,
ou encore l'observation des oscillations d'une étoile dues à son éventuel cortège planétaire) privilégient les planétes
géantes et à courtes périodes.
Et ainsi, l'Univers semblant
vaste, voire infini, il doit exister un certain nombre de configurations faborables, le système solaire et la Terre
étant l'une d'elles : et nous sommes là pour faire cette observation !
Or aujourd'hui, une interrogation de même nature porte sur l'Univers : en effet, il est décrit par
une trentaine de paramètres qui sont "finement ajustés" permettant ainsi l'existence d'atomes, d'étoiles,
de planètes, de la vie. Alors, pourquoi et comment un tel ajustement est-il possible ? Et si la réponse à
cette interrogation était de la même nature que celle donnée ci-dessus pour expliquer la situation privilégiée de la Terre ?
Ne se pourrait-il pas qu'existent une (quasi-)infinité d'Univers où quasiment toutes les combinaisons de valeurs des paramètres
fondamentaux seraient représentées et donc en particulier celle du Notre ? Cet ensemble d'Univers formerait un (le ?) Multivers...
On notera que cette hypothèse est d'une part contraire au rasoir d'Occam
et d'autre part, en toute logique, implique l'existence d'un MultiMultivers, d'un MultiMultiMultivers,...
et ce ad infinitum...
Malgré tout cette hypothèse méta-physique émerge d'un certain nombre de théories (non exclusives l'une de l'autre !) :
- Les univers parallèles de Hugh Everett, malgré son incompatibilité (apparente ?)
avec la relativité de la simultanéité [01].
-
L'inflation fractale d'Andrei Linde.
-
La théorie des super-cordes.
- La simulation : ne serions-nous pas à l'intérieur d'un
"jeu vidéo" dont les programmeurs seraient "nos Dieux" ?
Mais où seraient ces derniers ? Et qui (et où) seraient les programmeurs des programmeurs ?
Ne pas oublier alors le rasoir d'Occam[02]...
- Les Mathématiques elles-mêmes :
ne serions-nous pas des structures mathématiques conscientes ?
- Les Mathématiques encore : en effet, l'Hypothèse du Continu
pourrait nous conduire à plusieurs théories des ensembles et donc à
plusieurs Mathématiques différentes et donc en quelque sorte à un Multivers Mathématique.
Mais si les Mathématiques sont bien, selon Galilée,
LE langage de l'Univers alors un
Multivers Mathématique engendre nécessairement un Multivers Physique !
- etc...
Selon Karl Popper, une théorie scientifique doit être réfutable.
Dans ce contexte, par exemple, le modèle du Big Bang
ne serait pas scientifique car n'étant pas réfutable (il semble difficile
de refaire l'expérience !). La pratique actuelle consiste à accepter un modèle tant que certaines de ses prédictions sont vérifiées
et que les autres ne sont pas réfutées (ce fut ainsi le cas de la Relativité Générale avec les trous noirs
et les ondes gravitationnelles). Dans l'état actuel, les modèles de Multivers n'ont fait aucune prédiction et il
convient d'attendre leurs prochains développements, en particulier dans le cadre de la Grande Unification (Mécanique Quantique et Relativité Générale)...
- [01]
On sait depuis 1905 et la Relativité Restreinte d'Albert Einstein que la notion de simultanéité est relative.
Cela signifie que A et B étant deux événements quelconques dans l'espace-temps, suivant le mouvement d'un certain observateur,
A et B pourront être observés comme simultanés, ou bien A antérieur à B ou enfin A postérieur à B.
Rappelons qu'en Mécanique Quantique lorsqu'une mesure va être effectuée, on peut en calculer les résultats possibles
{R1,R2,R3,...} associés à
leurs probabilités respectives {P1,P2,P3,...}
mais on ne peut savoir à l'avance quel résultat Ri sera effectivement obtenu.
Ce non déterminisme est très génant et beaucoup ont cherché une solution à ce problème.
Dans le modèle de Hugh Everett, à chaque mesure,
l'Univers bifurque en se dupliquant en autant de copies que nécessaire afin que chaque
branche de cette arborescence corresponde à l'un des résultats Ri.
Si maintenant au lieu de considèrer non pas une mesure, mais deux, A et B, dans quel ordre temporel l'Univers doit-il se dupliquer :
les bifurcations A puis B, ou bien B puis A, ou enfin d'une autre façon (indeterminée a priori) ?
Enfin, les bifurcations étant inconditionnelles, les probabilités Pi, qui en toute généralité
ne sont pas égales, ne jouent plus aucun rôle, ce qui est contraire aux bases même de la Mécanique Quantique...
- [02]
La question de savoir si nous sommes à l'intérieur d'un jeu vidéo ou encore si notre Réalité est "simulée" est mal posée.
En effet la notion de "simulation" est apparue avec les ordinateurs et les progrès des techniques mathématiques et numériques. Aujoud'hui,
tout est "information" et "bit". Une simulation dite "numérique"
consiste à remplacer des expériences "réelles" par des calculs portant sur la formulation des systèmes physiques étudiés.
C'est ainsi que l'on peut, par exemple, étudier le système solaire.
Ces techniques se retrouvent aussi dans le domaine de l'apprentissage ou encore du jeu et l'on peut ainsi conduire (virtuellement...) une Formule 1 sur un circuit
ou engager un chasseur à réaction dans un combat aérien. On noter dès à présent que le système qui est simulé est en général
un sous-ensemble de la réalité familière.
Par contre il en va tout autrement si l'on s'interroge sur notre Réalité.
En effet, soit R1 la Réalité "maître" qui "hébergerait" la "simulation" de notre Réalité R2
(en se limitant à une hiérarchie à deux niveaux pour commencer...).
Nombreux sont ceux qui font l'hypothèse implicite que R1 et R2 sont en quelque sorte de même nature.
Or, en toute généralité, il n'y a absolument aucune raison pour que R1 puisse être décrite et comprise
grace aux notions propres et locales de R2. Ces dernières sont :
- NOS Mathématiques,
- Les "atomes" (l'espace et le temps) et les lois de NOTRE Physique (la Mécanique Quantique, les Relativités Restreintes et Générales),
- NOTRE informatique,
- l'être,
- la conscience, que l'on ne sait toujours pas définir,
- la morale,
- la/les religion(s),
- ...
Si elle existe, la Réalité R1, a priori, ne nous est pas accessible
et même si elle l'était, elle nous serait très certainement incompréhensible. En effet il n'y a aucune raison pour que les notions les
plus fondamentales de R2 que sont le temps, l'espace ou encore le nombre
y existent ou en possèdent des contre-parties (on a évidemment du mal à imaginer que l'on puisse s'en passer pour comprendre, agir
et évidemment simuler R2...).
La question de savoir si notre Réalité est "simulée" est évidemment légitime,
mais il est des questions et des affirmations qui ne le sont pas, n'ayant parfois aucun sens d'après ce qui précède et par exemple :
- Le débat sur la nature discrète de R2 (dans le cadre des recherches sur l'unification de
Mécanique Quantique et de la Relativité Générale) est-il pertinent pour répondre à la question,
le mot simulation étant fortement lié dans R1
à celui de discrétisation ?
- Sous peine d'un paradoxe insoluble, il n'est pas possible de s'interroger sur l'inclusion de R1
dans R2.
- R3, le Jeu de la Vie de Conway, est-il à R2
ce que R2 est à R1 ?
Peut-être, puisque R3 n'existe, par définition, que grace aux Mathématiques et aux
ordinateurs de R2 !
- S'interroger sur les capacités de calcul nécessaires dans R1 pour simuler R2 n'a aucun sens,
puisque la nature de R1 nous échappe complètement.
- Lors d'observations d'anomalies dans R2, cela est-il la preuve d'un bug
de programmation dans R1 et donc de la nature simulée de R2 comme le soutient John Barrow ?
En toute généralité, non car en effet, notre science (celle de R2) repose sur la croyance,
par induction, en l'existence et en la stabilité de lois sous-jacentes, mais qu'en est-il "réellement" ?
Ainsi, par exemple, observer une planète changeant brutalement de trajectoire,
est-ce un bug dans R1 ou bien un indice du caractère incomplet de nos
modèles de la gravitation ? De plus, il convient de rappeler que la Physique dans R2 n'est pas
toujours déterministe : c'est en particulier le cas de la Mécanique Quantique lors de l'acte de mesure...
- Les êtres responsables dans R1 de la simulation de R2, "que" et "qui"
sont-ils et peut-on s'interroger sur leurs motivations ? Imaginer qu'ils agissent à des fins de recherche en Physique,
Psychologie, Sociologie,... ou encore "pour jouer", tout en ayant éventuellement un comportement "éthique",
c'est là faire preuve, sans ambiguité, d'anthropocentrisme !
- Les solutions possibles au paradoxe de Fermi n'indiquent pas que nous sommes
seuls dans l'Univers (R2), mais uniquement que la rencontre d'autres êtres, principalement
pour des raisons "spatio-temporelles" est hautement improbable. Et ainsi, les observations sous-jacentes à ce paradoxe
("on ne voit pas d'extra-terrestres") ne peuvent être invoquées pour en déduire qu'il s'agit-là d'une simplification effectuée
dans R1 pour alléger le "processus"...
Il semble donc que la question "Notre Réalité est-elle simulée ?" devrait être généralisée en
"Notre Réalité a-t-elle été créée ?" ou encore "Dieu existe-t-il ?".
On ne peut alors échapper à la question "récursive" : "Qui a créé le créateur ?" (on notera au passage
que la question "Qui simule le simulateur ?" n'est pas nécessaire, "simulation" et "création"
n'étant pas de même niveau, de même nature...).
Alors, pour sortir de ce piège diabolique, il n'y a peut-être pas d'autre issue que celle
du rasoir d'Ockam en affirmant "Dieu n'existe pas !",
laissant évidemment sans réponse la question "Notre Réalité a-t-elle été créée ?". Et si elle n'a pas été créée,
cela signifie-t-il qu'elle est éternelle ?
Copyright © Jean-François COLONNA, 2020-2024.
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