Quelques Remarques sur le Cerveau
CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
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(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 01/12/1996 et mise à jour le 09/10/2024 09:45:30 -CEST-)
Mots-Clefs :
Anaglyphes,
Art et Science,
Autostéréogrammes,
Chaos Déterministe,
Création Artistique,
Entrelacs,
Erreurs d'arrondi,
Expérimentation Virtuelle,
Génie Logiciel,
Géométrie Fractale,
Infographie,
Mathématiques,
Mécanique Céleste,
Mécanique Quantique,
Physique,
Sensibilité aux Erreurs d'Arrondi,
Simulation Numérique,
Stéréogrammes,
Synthèse de Phénomènes Naturels,
Synthèse de Texture,
Visualisation Scientifique,
Voyage Virtuel dans l'Espace-Temps.
1-Cerveau et Boucles de Rétroaction :
Le cerveau pourrait être constitué
d'un certain nombre de hiérarchies de boucles de rétroaction
en mouvement perpétuel (l'arrêt de ces
mouvements correspondant à la mort cérébrale). Cela
signifierait que la mémoire serait en partie dynamique et que mémorisation et traitement
de l'information pourrait être une seule et même chose. Ces
boucles produisent en permanence :
- des transformations des informations antérieures,
- des combinaisons (originales ou déjà rencontrées) d'informations antérieures,
- et donc, des idées et des pensées nouvelles.
Cela peut expliquer les aspects créatifs,
novateurs, imprévisibles,... des
"productions" du cerveau ; mais en
remontant éventuellement à l'instant 0 (la
conception ?) rien n'est produit qui ne vienne
(directement ou très très indirectement) des
sens qui initialisent puis alimentent en
permanence le processus. D'où la conjecture
suivante : point de conscience sans au moins un sens actif.
On notera au
passage l'introduction d'une sorte
d'indéterminisme lié à l'aspect temporel du
processus. En effet, tous les chemins n'étant
pas de même longueur, et les vitesses des
influx nerveux pouvant varier, les
interactions sont asynchrones et difficilement
prévisibles. La différence essentielle avec un
ordinateur (machine numérique
algorithmique) pourrait être alors l'absence
d'horloge de synchronisation (ces décalages
temporels entre signaux à combiner
pourraient-ils être l'analogue des
erreurs d'arrondi
-même si ces dernières sont
déterministes- ?). Cela peut fournir des
arguments en faveur de la théorie non
calculatoire (non algorithmique) de la pensée
telle qu'elle est présentée par Roger Penrose,
qui par ailleurs se trompe certainement en
voulant expliquer ce processus en partant du
bas de l'échelle (la mécanique quantique et
les cytosquelettes) ; à titre d'exemple de
clarification, ce n'est pas en prenant en
compte les quarks et les gluons que l'on fait
de la mécanique des fluides ou bien encore de la mécanique céleste...
D'autre part, si la
conscience trouvait ses sources dans les
échelles quantiques uniquement, où serait la
différence entre le cerveau de l'homme
(pensant et conscient) et celui d'un animal
"inférieur" ? Enfin, les appareils d'examens
médicaux (la RMN, par exemple) qui interviennent
sur l'état quantique des particules élémentaires de notre
corps devraient modifier notre pensée lorsque les mesures
effectuées ont lieu sur le cerveau, or cela ne
semble pas être le cas...
Au passage, Roger Penrose se trompe aussi lorsqu'il
ignore le problème des erreurs d'arrondi
dans les calculs de chaos déterministe, or
celles-ci introduisent la non calculabilité dans
des processus algorithmiques et donc
calculables théoriquement ; elles montrent
donc qu'il est essentiel de distinguer la
calculabilité théorique de la calculabilité
pratique qui seule importe ici lorsque l'on
souhaite faire une simulation.
2-L'Inné et l'Acquis :
Les fonctions de combinaison et de
transformation ne sont pas arbitraires : elles
correspondent d'une part aux chemins dont
la topologie est d'orgine génétique et d'autre
part à ceux qui furent renforcés ou créés à
partir de l'expérience (sans oublier bien
entendu ceux qui ont été affaiblis, voire ceux
qui ont disparu).
3-Cerveau et Systèmes Dynamiques :
Le comportement global du "système" étant
en général cohérent (sauf démence par
exemple) et d'une extrême "richesse
potentielle", cela signifie qu'il est en fait un
système dynamique (d'une très grande
complexité) possédant un attracteur étrange.
Cela peut donc expliquer l'aspect chaotique
des mesures de certains signaux biologiques
(électro-encéphalogrammes par exemple).
Cette notion ajoutée à celle d'absence
d'horloge de synchronisation
(asynchronisme) impliqueraient
l'impossibilité d'être deux fois de suite dans
le même état exactement et bien entendu une
forte sensibilité aux conditions initiales (qui
ici sont en fait permanentes, puisque
constituées de l'ensemble de l'environnement
sensoriel). Certaines maladies mentales
(obsessionnelles par exemple) pourraient
alors s'expliquer en terme de formes
particulières de l'attracteur, dites à sens
unique ou trappe (c'est-à-dire dont on ne
peut sortir...).
4-Les Cinq Sens :
La "mise en mouvement" (initiale, mais aussi
permanente) provient donc des stimulations
externes alimentées par les cinq sens (la vue,
l'ouïe, le toucher, l'odorat et le goût) et tout
(absolument tout) est engendré à partir de là,
et ce de manière récursive :
Nihil est in intellectu nisi prius fuerit in sensu
(Rien n'existe dans l'esprit qui n'a pas été précédemment ressenti)
Saint Thomas d'Aquin.
Les "productions", quant à elles,
sont de nature "commandes musculaires"
(réelles : la parole par exemple, ou virtuelles :
la pensée).
5-La Conscience :
Il existe une boucle de rétroaction plus
"externe" que les autres : c'est la conscience.
Celle-ci connecte les sorties de type vocal (en
inhibant les commandes physiques
correspondantes) aux entrées de type auditif.
Penser, c'est se parler a soi-même :
cela explique que la petite voix que l'on
entend dans sa tête ressemble à s'y
méprendre à celle que l'on entend lorsque
l'on s'écoute parler (par exemple, elle est
masculine pour un homme et féminine pour
une femme). Cela explique aussi que l'on
puisse parler tout seul : alors les commandes
de vocalisation ne sont pas inhibées ; il est
même possible de passer d'un mode à l'autre
de façon continue (penser intérieurement et
soudainement poursuivre à voix haute un
raisonnement). Une conséquence immédiate
en est que les animaux évolués (les
mammifères en particulier) doivent posséder,
eux-aussi, cette boucle externe ; ainsi un
chat, par exemple, doit entendre dans sa tête
(et donc penser...) des miaulements
sémantiquement significatifs.
Il doit exister en fait un continuum de niveau de conscience allant de 0 (une amibe par exemple)
à 1 (un être humain "normal") et au-delà (ceux que nous ne rencontrerons certainement jamais...).
6-Eveil et Sommeil :
Le fonctionnement et le comportement de
cette boucle dépendent de l'état éveillé ou
non du sujet. En particulier à l'etat éveillé, il
doit exister des mécanismes de cohérence
(liés peut-être aux entrées sensorielles
courantes) qui limitent les actions possibles.
Par contre dans l'état de sommeil, ces
mécanismes de cohérence pourraient être
affaiblis et donc permettre la production
d'actions virtuelles incohérentes. Cela est
l'occasion d'ajouter que cette boucle
connectant la parole à l'ouie doit aussi
connecter un dispositif de sortie (à préciser)
aux mécanismes de la vision ; tout cet
ensemble produisant alors les rêves. Il serait
peut-être possible de stimuler cette connexion
visuelle virtuelle à l'état éveillé.
7-Le Libre-Arbitre :
Cette boucle de rétroaction appelée conscience n'est donc qu'un
"sous-produit" des mécanismes plus
profonds (les boucles plus internes) et elle ne
fait que les traduire synthétiquement et ce de
façon automatique (et donc
involontairement). Cela implique que le
libre-arbitre n'existe pas, la conscience étant
une production automatique. Cela explique
au passage la possibilité de certaines activités
(tel le pilotage d'une Formule 1 ou d'un
chasseur à réaction) pour lesquelles l'action
est trop rapide pour que la décision puisse
être prise de façon consciente (il s'agit ici
d'actions beaucoup plus complexes que
celles que l'on qualifie habituellement de
réflexe ; en particulier beaucoup mettent en
œuvre une stratégie -de victoire-). Cela
explique aussi le résultat de certaines
expériences où l'on montre qu'une action
peut être démarrée (le mouvement d'un
membre) avant même d'avoir pensé ce
mouvement (intérieurement).
8-À quoi sert la Conscience ?
À quoi sert cette boucle de conscience et
pourrait-on s'en passer ? Deux explications
(non exclusives l'une de l'autre) la justifiant
peuvent être avancées : d'une part une
auto-stimulation de haut-niveau qui
permettrait de continuer à penser même si les
stimulations sensorielles externes (et réelles)
étaient interrompus (ce qui ne serait pas vrai
si celles-ci n'avaient jamais existées,
puisqu'elles initialisent le processus) et
d'autre part assurer (tout ou partie ?) de la
fonction de filtrage de cohérence. Dans ces
conditions, la cohérence est à définir comme
un ensemble de contraintes forgées par
l'extérieur (connu par les sens) et permettant
d'adapter notre action à l'environnement.
D'ou une autre conjecture :
il ne peut y avoir intelligence sans conscience;
c'est peut-être là le problème majeur de l'Intelligence Artificielle : donner à la machine
la conscience de soi ; l'homme devra-t-il lui communiquer (et si oui, comment ?) ou bien émergera-t-elle
spontanément, et ce au-delà d'un certain niveau de complexité ?
9-La Mesure de la Pensée :
Une mesure de l'état instantané du cerveau
semble aussi impossible qu'une telle
opération portant sur l'Univers ; en effet ce
dernier est vu depuis un point unique (le
système solaire) et les objets observés le sont
à des instants différents de l'histoire de
l'Univers (plus ils sont éloignés et plus ils
sont vus dans le passé).
En ce qui concerne
le cerveau, la situation semble assez
similaire. D'une part les mesures ne peuvent
qu'être externes en toute généralité. D'autre
part, la conscience est mouvement perpétuel
et vice-versa ; cela implique que l'état global
ne peut être figé à l'instant t et ainsi il est
impossible de mesurer A(t) et B(t), mais
uniquement A(t) et B(t+Dt) d'où
l'incohérence et la perte de l'intégrité de la
pensée... Cela semble interdire le
développement d'une quelconque
téléportation (de l'être humain, alors qu'elle est
déjà possible au niveau d'une particule élémentaire, en notant
au passage que c'est son état qui est téléporté et non pas elle-même...) qui nécessiterait
évidemment une mesure instantanée et
globale.
10-Combinatoire et Création :
La combinatoire est la source de la création.
Cette conjecture pourrait (peut ?) être
démontrée de la façon suivante. Si
l'évolution se poursuit normalement, un
programme comme Deep Blue devrait
battre régulièrement Garry Kasparov dans les
prochains mois (je dis -au mois de mai 1997- régulièrement, ce qui
signifie qu'il n'est peut-être pas envisageable
que la victoire soit systématique...). Sans
vouloir réduire les qualités évidentes de ce
programme, il est vrai qu'il privilégie
l'approche brutale et exhaustive par rapport à
une approche plus "fine" reposant sur des
connaissances générales relatives au jeu
d'échec. Ce programme est donc un
générateur de combinaisons ; or s'il réussit à
battre le champion du monde, ce ne peut être
que grâce à des coups que tous les
spécialistes s'accorderont à trouver
magistraux et originaux ; ainsi la
combinatoire engendre la création.
11-Le Test de Turing :
Le jeu d'échec est considéré depuis son
invention comme l'activité intellectuelle par
excellence ; il fut donc, depuis toujours, un
sujet de recherche pour l'Intelligence Artificielle
(et même avant qu'elle ne fut
"informatique" : il suffit de se souvenir de
ces automates qui furent construits au cours
des siècles passés -celui du Baron de
Kempelen, par exemple-). Il serait possible de
considérer les matches de Garry Kasparov
contre Deep Blue comme une nouvelle
version du test de Turing : en effet, effaçons
le nom de Deep Blue et remplaçons-le par
celui de Jean Dupont. Qui contestera la
qualité impressionnante du jeu de ce dernier,
et donc son intelligence. D'ailleurs, à plusieurs reprises
et de plus en plus explicitement, Garry Kasparov
a accusé IBM de tricherie en laissant entendre que
la machine aurait été "assistée" lors des coups importants ;
si tel n'est pas le cas (ce que je crois ; d'ailleurs est-il imaginable
que plusieurs Grands Maîtres coopèrent en temps réel afin de battre le
champion du monde ? Leurs capacités individuelles ne sont pas "additives"...), c'est
faire là un compliment aux concepteurs du système...
Enfin, cette
victoire attendue n'est donc pas (du moins pas encore...) celle de la
Machine sur l'Homme, car, en effet, qui conçoit celle-ci ?
12-Unité et Persistance :
Le cerveau (et plus généralement le corps) est un assemblage
d'un nombre colossal de particules dites élémentaires
(électrons, quarks, photons, gluons,...).
Comment est-il alors possible que cet "amas" possède une unité (tant physique que psychologique) et qu'il la conserve au cours du temps,
mais aussi comment peut-il "avoir conscience d'avoir conscience" ?
Copyright © Jean-François COLONNA, 1996-2024.
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