Géométrie Fractale et Phénomènes Naturels
(La Géométrie Fractale : un voyage dans les îles et les nuages)
CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
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(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 09/02/2013 et mise à jour le 03/10/2024 17:07:01 -CEST-)
Résumé : Le concept mathématique de fractal est apparu dans les années 60 sous l'impulsion de Benoît Mandelbrot.
Il caractérise des objets possédant des détails à toutes les échelles d'observation, dont certaines
mesures peuvent diverger et dont la dimension
peut être non entière. De nombreux objets et phénomènes naturels ou non
possèdent ces propriétés :
interfaces entre deux milieux, montagnes, nuages, certaines plantes, l'Univers peut-être...
Mots-Clefs :
Anaglyphes,
Art et Science,
Autostéréogrammes,
Chaos Déterministe,
Création Artistique,
Entrelacs,
Erreurs d'arrondi,
Expérimentation Virtuelle,
Génie Logiciel,
Géométrie Fractale,
Infographie,
Mathématiques,
Mécanique Céleste,
Mécanique Quantique,
Physique,
Sensibilité aux Erreurs d'Arrondi,
Simulation Numérique,
Stéréogrammes,
Synthèse de Phénomènes Naturels,
Synthèse de Texture,
Visualisation Scientifique,
Voyage Virtuel dans l'Espace-Temps.
1-De Euclide à Mandelbrot :
En 1960, Eugène Wigner s'interrogeait sur la redoutable
efficacité des Mathématiques, en particulier en tant que
langage de la Physique.
Malgré ces succès, des "choses" bien quotidiennes échappaient à
une description en terme de Mathématiques "classiques" : quelle est, en effet, la
forme d'un nuage, d'une montagne, d'un arbre ou encore des
ramifications des bronches en terme d'"atomes" euclidiens ?
Or à la fin du dix-neuvième siècle, des mathématiciens
(Weierstrass -peut-être le pionnier-, Cantor, Peano,
Lebesgue, Hausdorff, Besicovitch, von Koch,
Sierpinski,...) s'intéressèrent un temps à des
"monstres", et par exemple à des courbes continues
mais non différentiables (et n'ayant donc de tangente en aucun point), dont la longueur était infinie
bien que leur domaine soit limité ; certaines
réussissaient même à remplir fort bien des espaces de
dimensions supérieures. Charles Hermite y voyait là
une plaie lamentable...
Ces courbes sont définies comme étant la limite à
l'infini d'un certain processus itératif de construction
et ne sont donc jamais visualisables exactement (tout comme il est impossible de
voir "toutes" les décimales de pi), mais
seulement de façon (très) approchée.
Voici certainement l'exemple le plus simple à définir et à
appréhender : celui de la courbe de von Koch . Nous
voyons ici les trois premières itérations de sa
construction : partant d'un segment (bleu en bas),
nous substituons à son tiers central les deux côtés
supérieurs d'un triangle équilatéral ; cette procédure est
ensuite répétée pour chacun des 4 segments plus petits
(dans un rapport égal à 3) obtenus. Il est évident qu'à
chaque itération la longueur totale est mutipliée par 4/3
(puiqu'en fait 3 petits segments ont été remplacés par 4 de
même taille), ce qui fait que, par exemple, en quatre-vingt dix itérations,
partant d'un unique segment d'un mètre, nous voici face à une
"courbe" dont la longueur (175x10^6 Kms) est supérieure à la distance de
la Terre au Soleil (150x10^6 Kms) ! Cela défie l'intuition, tout en mettant
en évidence une première propriété fondamentale :
un objet fractal permet au fini (dans le cas présent, le
domaine de définition de cette courbe) et a l'infini (sa longueur)
de coexister.
Une seconde propriété essentielle,
parfaitement visible ici, est celle d'autosimilarité. Elle
indique que les parties sont identiques au tout, à un
facteur d'échelle près : ainsi, le tiers gauche de la
courbe verte est une copie réduite (dans un rapport égal à 3)
de la courbe rouge entière.
Par la suite, nous passerons sous silence la
délicate notion de dimension dite fractale en général non entière. Notons
seulement qu'elle est fondamentale et en quelque sorte, pour les objets fractals,
une mesure de leur "rugosité", de leur irrégularité,... et de leur
"taux" d'occupation de l'espace dans lequel ils existent.
Puis ces monstres restèrent assoupis plusieurs
dizaines années jusqu'à ce que la curiosité, l'intuition et le génie de
Benoît Mandelbrot (à l'origine du
mot fractal et "père" de l'ensemble éponyme
), aidés par les progrès étonnants des
technologies informatiques, les réveillent. C'était, dans les années
soixante/soixante-dix, la [re-]naissance des
fractales.
2-Retour sur l'Autosimilarité :
L'autosimilarité (néologisme issu de l'anglais self-similarity ;
autosimilitude aurait certainement été préférable comme traduction...)
semble être une propriété
possédée par de très nombreux objets naturels : un
nuage, une montagne,... Voici une branche de fougère :
la forme de l'un de ses détails est très proche de celle
de la branche entière.
Nous nous contenterons ici de cette propriété pour définir
un objet fractal, notant cependant qu'il peut être
défini d'une façon plus générale, comme possédant des structures
(alors non nécessairement identiques au facteur d'échelle près)
à toutes les échelles d'observation.
Cette propriété permet de comprendre que certaines de leurs mesures
puissent diverger (c'est le cas de la longueur de
la courbe de von Koch)
et que communiquer celles-ci sans indiquer simultanément
l'étalon utilisé, n'a pas de sens.
3-L'Universalité de la Géométrie Fractale :
La question se pose alors de savoir pourquoi tant
d'objets naturels sont fractals. L'examen d'un
exemple particulier, celui de la structure des alvéoles pulmonaires (ou acinus)
, peut nous fournir
la piste d'une réponse possible. En effet, cet
organe situé à l'extrémité de l'arbre bronchique (lui-même fractal) est destiné à assurer des échanges
gazeux à travers une surface dont l'aire doit être la
plus grande possible, alors que son
encombrement (et donc son volume) est limité.
Si la géométrie utilisée était, par exemple, celle
d'une sphère, pour augmenter l'aire il
conviendrait d'augmenter le rayon et donc
concomitamment le volume, ce qui serait
contraire à la contrainte imposée (notons, au
passage, que chez l'adulte la surface d'échange
est de l'ordre de 100 mètres carrés, ce qui
correspondrait à une sphère peu viable de 5.6
mètres de diamètre !). Une structure fractale
semble être la réponse à ce problème
d'optimisation : les alvéoles pulmonaires ont ainsi une
surface énorme à l'intérieur du volume restreint
d'une petite partie de la cage thoracique.
La Géométrie Fractale a
rapidement conquis ses galons d'outil mathématique
fondamental en réussissant à réunir alors des domaines
jusqu'alors disjoints. Les cours de la bourse et
le mouvement brownien ,
le chaos déterministe ,
les feux de forêts et les fronts de diffusion ,
les agrégats , les
systèmes de pagination mémoire,... autant de
domaines de recherche où elle s'est imposée et d'où la "fractalité" émerge spontanément. Des
structures fractales sont ainsi repérées des plus petites
aux plus grandes échelles
et certains vont même jusqu'à
attribuer à l'espace-temps une structure fractale, le
rendant ainsi continu et non différentiable.
Et la Science elle-même, avec les structures
sans fin qu'elle nous dévoile, ne serait-elle pas
l'ultime "objet" fractal ?
Examinons attentivement un exemple particulier :
celui de la synthèse de phénomènes naturels -paysages
et nuages-. Remarquons que la première itération de la
construction de la courbe de von Koch ressemble de
façon très grossière (et évidemment trop parfaite) à
la ligne de crête d'une montagne. En introduisant un
peu d'aléatoire, cette courbe pourra prendre une forme
moins régulière et donc plus naturelle ; cette courbe
sera alors qualifiée de fractale non déterministe.
L'auteur de ce texte
a généralisé cette procédure à des
espaces à N dimensions ; cela permet, par exemple,
pour N=3 de produire des paysages extrêmement variés
et pour N=4, de les animer .
Il convient de noter que la simplicité conceptuelle de cet algorithme
(et de ceux qui permettent de calculer les ensembles dits de Julia et
de Mandelbrot , par exemple)
est pratiquement en opposition avec l'infinie richesse visuelle des structures obtenues.
Ainsi, la Géométrie Fractale est l'occasion de [re-]découvrir
que du simple peut naître le complexe...
5-Géométrie Fractale et Art :
La Géométrie Fractale est connue du public par les
images qu'elle permet donc de produire et qui font dire
bien souvent qu'elle est un pont entre l'Art et la
Science. S'il est vrai qu'elle a introduit des formes
nouvelles , le créateur reste le maître et
l'initiateur de la composition .
Paraphrasant Heinrich Hertz, il est possible
d'affirmer : on ne peut échapper au sentiment que
ces algorithmes ont une existence qui leur
est propre, qu'ils sont plus performants que ceux qui les
ont réalisés, et que nous pouvons en extraire plus
de science (et d'Art ?) qu'il n'en a été mis à l'origine.
Alors, l'œuvre ne doit plus être vue dans le
résultat (une image par exemple), mais dans le
programme qui lui a donné naissance, introduisant
ainsi le concept "borgésien"
d'œuvre potentielle
(c'est-à-dire contenant en elle -et de façon presque utopique- une quasi-infinité
d'œuvres du même type, prêtes à émerger du néant)...
6-Ordinateur et Géométrie Fractale :
Le rôle joué par l'ordinateur semble avoir été
décisif dans ces progrès. Simultanément, il s'est
imposé dans toutes nos activités et bien évidemment
dans la recherche scientifique. Grâce a lui, une
approche expérimentale nouvelle, celle de
l'Expérimentation Virtuelle, associant l'étude
informatique du modèle mathématique d'un système
associé à la mise en images interactives des résultats
produits, a pu voir le jour au cours de ces dernières
années.
La Géométrie Fractale nous a montré que la
différentiabilité n'était pas nécessairement une
propriété naturelle et universelle ; y renoncer s'est
alors avéré une idée fructueuse ne demandant pas l'introduction
d'une hypothèse nouvelle en physique, bien au contraire...
Qu'en est-il aujourd'hui de la continuité ?
L'ordinateur, de par sa structure même, nous contraint
à y renoncer bien involontairement. Mais évidemment
il ne s'agit pas ici, du moins pas encore, de la
continuité supposée de la nature, mais bien de celle des
modèles ! Les nombres réels,
essentiels aux Mathématiques et à la Physique,
en particulier pour l'obtention d'équations différentielles via des passages
à la limite, sont impossibles à représenter dans nos
calculateurs, machines "discrètes" par définition.
Cette impossibilité peut conduire très facilement à
des résultats faux .
Enfin, une dernière difficulté, généralement
passée sous silence, vient de la notion de nombre d'itérations. En effet,
la plupart des objets fractals sont obtenus en répétant une certaine transformation
T tant qu'une certaine condition C est vérifiée (et supposée vraie par la suite) : le nombre N d'itérations varie
en général d'un point à l'autre. Dès que C devient fausse,
les choses sont déclarées (de façon parfois présomptueuse) sûres :
le point courant n'appartient pas à l'ensemble. Par contre tant que C reste vraie,
la situation est plus incertaine : en effet, pour des raisons pratiques évidentes,
il est impossible d'itérer indéfiniment ; il faut bien s'arrêter pour une
valeur de N fixée arbitrairement à l'avance (par exemple 1000), mais
qui sait ce qu'il adviendrait si une itération de plus était effectuée
? De plus, les problèmes de calcul évoquées précedemment ajoutent une
nouvelle source d'ambiguité : la valeur logique de C calculée numériquement
peut être différente de ce qu'elle est en réalité (avec les nombres réels)
mais qui reste malheureusement inaccessible.
Les limites inhérentes de l'informatique doivent donc être connues et si possible
maitrisées, afin de tirer le meilleur parti des outils
fondamentaux qu'elle nous offre, pour aller toujours plus loin sur la voie de la Connaissance.
7-La révolution fractale :
La Géométrie Fractale est une géométrie des systèmes irréguliers et
qui permet donc d'unifier en quelque sorte les probabilités (le mouvement brownien ),
les itérations et les interfaces .
C'est donc un langage commun.
A côté des symétries classiques de la Physique (invariance
par translation dans l'espace -conservation de la quantité de
mouvement-, invariance par translation dans le temps -conservation
de l'énergie- et invariance par rotation -conservation du moment
cinétique-), la Géométrie Fractale introduit une nouvelle symétrie :
celle de l'invariance d'échelle .
Une propriété fondamentale des objets fractals est celle de la
cohabitation de mesures à la fois finie et infinie que cette
géométrie permet (ce qu'illustre parfaitement notre système
respiratoire ...). Et c'est certainement l'explication de son
omniprésence dans la nature. On pourrait donc, pour plaisanter,
compléter l'affirmation d'Albert Einstein "Dieu ne joue pas aux dés",
en ajoutant "mais il fait certainement de la Géométrie Fractale"...
Et maintenant, visitez les galeries d'images fractales
déterministes,
non déterministes
et artistiques.
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