Images du Virtuel
CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
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(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 28/10/1997 et mise à jour le 03/10/2024 17:09:00 -CEST-)
(publié chez Addison-Wesley France, 02/1994)
Contents :
- AVANT-PROPOS :
- 1-NOTION DE MODELE :
- 2-ORDINATEUR ET ALGORITHME :
- 3-INTRODUCTION A LA NOTION D'EXPERIMENTATION VIRTUELLE :
- 4-L'OUTIL ORDINATEUR AUJOURD'HUI :
- 5-L'EXPERIMENTATION VIRTUELLE AUJOURD'HUI :
- 5.1-Concrétiser, présenter, synthétiser :
- 5.2-Prévoir, réfuter :
- 5.3-Découvrir, expliquer, généraliser :
- 5.4-Explorer, voyager :
- 5.5-Simuler, tromper :
- 5.6-Représenter :
- 5.7-Manipuler, révéler :
- 5.8-Animer, corréler :
- 5.9-Douter :
- 5.10-Transformer, combiner :
- 5.11-Détourner, pervertir :
- 5.12-Créer, imaginer, "inimaginer" :
- CONCLUSION :
AVANT-PROPOS :
Cet ouvrage n'est pas un nouveau livre sur la synthèse
d'image, non plus qu'un traité sur le calcul numérique : il
s'agit plutot d'un album destiné à montrer, par l'exemple, la
renaissance inévitable de la pensée visuelle dans l'univers de
la recherche scientifique. En effet, le rôle fondamental que
joue l'image dans nos processus cognitifs, se voit révélé et
amplifié par les outils que l'informatique d'aujourd'hui met à
la disposition des chercheurs et des ingénieurs de toute
discipline. Mais si ces nouvelles images créent bien souvent
la surprise chez ceux qui en ont un besoin immédiat et
professionnel, elles interpellent aussi la sensibilité du
profane et de l'artiste, signe certain d'un contenu beaucoup
plus riche que les apparences ne le laisseraient supposer.
Elles sont alors à comprendre comme un lieu de convergence
entre l'Art et la Science, où tout reste encore à voir et à
découvrir...
La pluridisciplinarité des thèmes abordés dans ce livre a
rendu délicat le choix de son titre. Nous donnons ici la liste
de ceux qui recouvraient au mieux notre propos, laissant au
lecteur le soin de justifier certains d'entre-eux :
IMAGES DU VIRTUEL
L'INIMAGINAIRE
LES NOMBRES, IMAGES DE LA REALITE
NOMBRES ET LUMIERE
LES NOMBRES, OMBRES DE LA REALITE
LA CAVERNE DES IMAGES
LE HUITIEME JOUR
CONVERGENCE
IMAGES REELLES D'EXPERIENCES VIRTUELLES
SCIENCE, IMAGES, ESTHETIQUE
SCIENCE, IMAGES, ART
La couverture : Vision artistique d'un ensemble
de Julia calculé dans le corps des quaternions (voir la figure
020 suivant le mode de représentation décrit dans la légende
de la figure 101).
L'ensemble des illustrations de cet ouvrage a été réalisé par
l'auteur au GSV-LACTAMME, laboratoire qu'il dirige
depuis de nombreuses années. Ce dernier est géré et financé
conjointement par le Centre National d'Etudes des
Télécommunications et par le Centre de Mathématiques
APpliquées de l'Ecole Polytechnique. Cette situation
privilégiée, ainsi que la volonté des dirigeants de ces deux
organismes, ont permis au concept d'Expérimentation
Virtuelle, tel qu'il sera défini par la suite, de s'y épanouir. Il
est en effet le résultat de la confrontation de problèmes
scientifiques réels (tels qu'ils s'en posent constamment, en
particulier, à l'intérieur des laboratoires de recherche) et des
techniques les plus avancées de traitement -au sens très large
du terme- de l'information (calcul numérique intensif,
réseaux de communication rapides, télévision numérique,
visualisation stéréoscopique,...), telles qu'elles sont
imaginées et concretisées par les équipes de recherche du CNET.
L'auteur tient à remercier tout particulièrement messieurs
Michel Feneyrol (directeur général du CNET), Jean-Claude
Nédélec (directeur du CMAP), Daniel Pommier (directeur du
CCETT) et Pierre Vasseur (directeur des laboratoires de
l'Ecole Polytechnique) pour lui avoir donné les moyens de
réaliser concrètement ses projets et pour avoir simultanément
accepté ses écarts artistiques... Mais ceux-ci sont devenus
inévitables car, ainsi que nous le rappelerons, la voie
scientifique ne permettra pas, si elle seule empruntée,
d'accéder à la véritable Connaissance, objectif ultime du
chercheur.
Depuis la nuit des temps, l'homme
tenté de déchiffrer les plans du Grand
Horloger. Pour ce faire, il s'est forgé les
armes nécessaires : elles ont pour nom
Religion(s), Science et Art ; seules les
deux dernieres vont ici nous intéresser. La
Science procède par l'observation des
phénomènes naturels ; l'ensemble de
ceux-ci constituent la Réalité empirique.
Elle cherche ensuite à les classer en
catégories homogènes puis à les décrire
d'une manière objective, c'est-à-dire
indépendamment d'un observateur humain
particulier (c'est l'objectivité faible) et si
possible indépendamment de tout
observateur (c'est l'objectivite forte), ce
qui devrait conduire à la connaissance de la
Réalité en soi. Le langage
"anthropomorphiquement universel" utilisé
pour cela s'appelle mathématique ; il
résulte des efforts accomplis, depuis
plusieurs milliers d'années, par les esprits
les plus éminents, et constitue la
construction humaine tout à la fois la plus
prodigieuse et la moins contestée. Ne
pouvant appréhender globalement
l'Univers, les sens, comme donc l'esprit,
découpent celui-ci en objets, ou systèmes
supposés isolés, ou du moins isolables...
Des développements récents de la
Mécanique Quantique montrent que ce
partitionnement (de même que le temps et
l'espace) n'est très certainement que le
reflet de nos structures sensorielles et que
la Réalité en soi doit échapper (à jamais ?)
à notre Science, ne laissant à cette dernière
que la possibilité de décrire la Réalité
empirique [01]. Mais ceci, bien que
frustrant, doit au contraire stimuler notre
imagination, puisque cela prouve qu'il
restera toujours des terres inconnues, mais
qu'aussi d'autres formes de la
connaissance, complémentaires de la
Science, doivent être exploitées [02]. La
musique, la poésie, les Arts Plastiques en
sont quelques exemples. Or, peut-être
paradoxalement, l'ordinateur, l'outil le
plus révolutionnaire que l'homme ait
jamais conçu, s'il est scientifique avant
tout, permet d'aborder, grâce à ses
développements les plus récents, le
problème de la création artistique sous un
jour nouveau, et par la-même de pousser
nos expériences dans ce domaine au-delà
de nos espoirs les plus fous. C'est par
l'image que nous allons illustrer cela dans
les pages qui suivent. Mais au préalable,
sans vouloir faire de grands
développements techniques, il semble
profitable de définir clairement quelques
notions utiles (et utilisées pour réaliser les
illustrations de cet ouvrage).
1-NOTION DE MODELE :
L'état d'un système étudié
scientifiquement est représente par des
grandeurs mesurables (coordonnées
spatio-temporelles, températures,
pressions,...), et son évolution est décrite
par des équations les reliant entre elles ; à
ceci il conviendra d'ajouter des conditions
dites aux limites (fixant, par exemple, la
valeur de quelques variables
caractéristiques en certains points et à
certains instants) ainsi que la définition
d'un domaine de validité (à l'extérieur
duquel, le modèle ne sera plus correct) [03].
Nous appelerons modèle d'un système
l'ensemble des objets mathématiques
énumérés précédemment et relatifs à ce
même système.
Un modèle prend nécessairement
ses racines dans l'observation des
phénomènes naturels ; à partir des mesures
alors collectées, des corrélations et des
régularités sont notées, puis selon une
démarche unificatrice les observations sont
rattachées à un modèle déjà connu ;
lorsque cela se révèle impossible, une
formulation mathématique antérieure est
élargie, ou bien une description nouvelle
est proposée. Une théorie scientifique
n'ayant de sens, que réfutable, et d'intérêt,
que prédictive, les équations du modèle
doivent être manipulées et résolues afin de
jouer pleinement leur role créateur. Les
prédictions ainsi réalisées permettent soit
d'infirmer le modèle, lorsqu'elles
se révèleront fausses, soit de le confirmer par
la découverte de nouveaux fragments de la
Réalité empirique [04]. Cette validation du
modèle se fait à l'aide d'expériences a priori (mesures déjà réalisées)
ou a posteriori ; dans ce dernier cas, elles
peuvent être délicates, voire impossibles, a
conduire (c'est ainsi le cas d'un modèle de
l'univers et de son origine, et plus
"simplement" de celui de l'interaction
gravitationnelle entre les galaxies ou seule
l'observation sans action directe est
possible). Nous allons voir par la suite
comment les notions d'algorithme et de
modèle vont malgré tout nous permettre
d'aller plus loin en étendant et en
généralisant la notion d'expérience.
2-ORDINATEUR ET ALGORITHME :
Imaginé par Charles Babbage au milieu du
dix-neuvième siècle, l'ordinateur a dû
attendre les années mille neuf cent
quarante, et le triomphe de l'électronique
sur le mécanique, pour se concrétiser sous
la forme d'un outil devenu indispensable
dans de très nombreuses activités
humaines. De toute évidence, et au-delà
de toute polémique sociale, cette invention
a bouleversé la plupart des branches
industrielles, à tel point qu'il est devenu
bien souvent impossible de s'en passer.
Une telle révolution est en train de
s'accomplir sous nos yeux dans le
domaine scientifique : il s'agit de
l'émergence du concept d'Expérimentation
Virtuelle ; mais avant de le définir plus
précisement, il est indispensable de
rappeler les deux notions essentielles
d'ordinateur et d'algorithme.
Un ordinateur est une machine
possédant d'une part une unite de calcul
capable d'effectuer les opérations
fondamentales de l'arithmétique, d'autre
part un organe de décision permettant de
choisir en fonction de certaines conditions
une voie plutôt qu'une autre, et enfin une
mémoire dans laquelle sont stockés les
données à traiter, les instructions de
manipulation de ces dernières ainsi que les
résultats obtenus. Cette description
simpliste correspond à celle que Charles
Babbage avait lui même formulée [05]. Ce
modèle de machine à programme
enregistré, dit de Von Neumann, est,
aujourd'hui encore, universellement utilisé
[06]. Cette possibilité de calculer, de choisir
et de mémoriser permet à l'ordinateur
d'exécuter n'importe quelle tâche, à
condition que celle-ci soit décrite par un
algorithme, c'est-à-dire par une suite finie
et ordonnée d'opérations élémentaires et
non ambiguës. Cette notion fondamentale
(ainsi que celle de calculabilité) fut
formalisée dans les années quarante par un
certain nombre de chercheurs parmi
lesquels il convient de citer Alonzo Church
et Alan Turing. La manipulation des
modèles scientifiques donne, dans le
contexte de cet ouvrage, les meilleurs
exemples d'algorithmes.
3-INTRODUCTION A LA NOTION D'EXPERIMENTATION VIRTUELLE :
Cette rupture
épistémologique, prévue dès le début des
années quarante par John Von Neumann
[07], n'a pu se concrétiser que récemment
grâce aux formidables progrès que
l'informatique a connus et connaîtra
encore, tant au niveau logiciel que matériel
[08].
Une expérience virtuelle consiste à
étudier le modèle mathématique d'un
système plutôt que ce système lui-même
[09][10]. Cette nouvelle approche
expérimentale est, bien entendu,
complémentaire (sans l'exclure !) de
l'expérimentation que nous qualifierons de
laboratoire ou de naturelle (afin d'éviter
d'employer le qualificatif de réelle, sujet de
débats épineux, en mécanique quantique
en particulier). Ainsi, il sera par exemple
possible d'agir virtuellement sur des objets
inaccessibles (les étoiles, les galaxies,...)
via leurs modèles, ou bien encore
d'inhiber certains facteurs (la
gravitation,...) ou enfin d'essayer des
conditions non physiques. Mais avant d'en
arriver la, il est évidemment nécessaire de
résoudre les équations. Pour ce faire, deux
approches complémentaires et non
exclusives l'une de l'autre sont alors
possibles :
- la première, dite formelle, est
celle qui donne la "solution explicite et
exacte" dans un cadre donné.
Malheureusement cette méthode est, la
plupart du temps, impraticable, voire
impossible, même dans les cas les plus
simples [11] ;
- la seconde, dite numérique,
procède par approximations : certaines
équations devront alors être simplifiées,
tandis que les grandeurs étudiées seront
discrétisées (ainsi nous ne nous
intéresserons, par exemple, qu'à quelques
points de l'espace et à quelques instants
particuliers). Elle fournit ensuite ses
résultats sous la forme de nombres (par
exemple la vitesse en chacun des points
étudiés et pour chaque instant choisi). Par
la suite, nous verrons les conséquences
tant positives, que négatives, de ces
diverses opérations.
Dans un cas comme dans l'autre,
l'ordinateur est aujourd'hui un outil
indispensable, tant au niveau de la
manipulation formelle des expressions et
des équations, qu'au niveau numérique,
étant donné, dans les deux cas, la
complexité des opérations à réaliser : c'est
en effet par millions, par milliards,... que
sont comptes les nombres à manipuler.
Notons au passage qu'il serait fortement
réducteur de ne voir dans l'ordinateur
qu'une vulgaire et stupide machine à
calculer : il convient aujourd'hui de le
considérer comme un collaborateur à part
entière, dont le rôle ne pourra qu'aller en
augmentant [12].
4-L'OUTIL ORDINATEUR AUJOURD'HUI :
La notion
d'expérimentation virtuelle reposant sur
l'ordinateur, il est donc important de
préciser l'état de l'art en matière
d'informatique afin d'en apprécier
pleinement les potentialités. De toutes ses
facettes, présentons celles qui nous
paraissent les plus caractéristiques et les
plus pertinentes relativement au sujet ici
développé :
4.1-l'intégration à grande échelle (ou VLSI) :
Actuellement [13],
les composants les plus complexes sont
constitués de plusieurs millions de
composants élémentaires [14] implantés
automatiquement sur une surface de
l'ordre du centimêtre carré. Les horloges
qui rythment leur travail telles
d'infatigables chefs d'orchestre, battent,
pour les plus performants d'entre-eux, à
des fréquences de l'ordre de la centaine de
méga-hertz, et ce qui était hier la spécificité
d'un super-ordinateur [15] se retrouve
aujourd'hui dans tous les
micro-processeurs haut de gamme
[16][17]. Les performances obtenues sont
surprenantes ; celles-ci résultent
(précisons-le car la chose est d'importance
et ne doit jamais être oubliée), de la
puissance intrinsèque des circuits, mais
aussi, de la qualité des logiciels, et tout
particulièrement de celle des compilateurs
qui assurent la traduction des programmes
dans le langage binaire des machines.
4.2-la connexion généralisée :
Aujourd'hui, il n'est pratiquement plus
d'ordinateurs à usage professionnel qui
soient coupés du monde extérieur [18].
Ainsi, pratiquement toutes les machines
UNIX [19] de la planète peuvent dialoguer
entre-elles, et cette possibilité, associée à
leur puissance intrinsèque évoquée
précédemment, aboutit à la notion de
système réparti ou méta-ordinateur [20]. Il
s'agit là d'un système dont les différentes
fonctions (calcul, interaction,
mémorisation, gestion de fichiers,
visualisation, connexion à des appareils de
mesures,...) sont délocalisées (c'est-à-dire
supportées par des machines distinctes,
éventuellement très éloignées les unes des
autres), mais apparaissent à l'utilisateur
comme faisant partie d'une même entité
logique à l'apparence locale. Les
principaux réseaux locaux d'aujourd'hui
nous offrent déjà des débits théoriques
importants [21] et en laboratoire, des
prototypes proches de l'industrialisation
[22] offrent des vitesses de commutation
de plusieurs giga-bits par seconde tout en
étant utilisables sur des liaisons
intercontinentales ! Ainsi, prochainement,
les systèmes éloignés, quelle que soit la
distance les séparant, pourront
communiquer entre-eux pratiquement
instantanément et échanger des quantités
d'informations colossales. Alors, les
possibilités des micro-processeurs,
associées à cette "ubiquité électronique",
nous donneront une puissance de
traitement inimaginable, pratiquement
gratuite, mais à laquelle nous devons nous
préparer dès maintenant lors de la
conception de nouvelles applications, lors
du choix et de la mise en place de
nouveaux équipements, ou encore lors de
la définition des programmes
d'enseignement.
4.3-l'existence de normes :
Le concept de méta-ordinateur proposé
ci-dessus est dès maintenant concrétisable
car, en effet, après l'anarchie des débuts et
les solutions dites propriétaires
(c'est-à-dire propres à chaque
constructeur, voire à chacune de leurs
lignes de produits...), des normes tant
matérielles que logicielles existent ; elles
permettent et simplifient la communication
entre les machines. L'expérience
quotidienne montre que, raccorder et
utiliser un nouveau système, sans être
aussi simple que prendre le volant d'une
nouvelle voiture, n'est plus aujourd'hui
une aventure héroïque ; mais d'ailleurs, les
fonctions d'un ordinateur sont-elles
vraiment aussi simples que celles d'une
automobile ?
5-L'EXPERIMENTATION VIRTUELLE AUJOURD'HUI :
Ce rapide tour
d'horizon des moyens informatiques
actuellement à notre disposition et des
tendances prévisibles, nous a montré
qu'en fait un immense potentiel n'attendait
qu'à être exploité. Dans le domaine de la
recherche tant fondamentale qu'appliquée,
les outils informatiques et les concepts
associés qui sont aujourd'hui disponibles
permettent de faire de l'Expérimentation
Virtuelle une réalité opérationnelle et
quotidienne. Nous la définirons donc, de
façon pragmatique, comme étant la
réalisation de mesures sur un modèle
mathématique résidant dans la mémoire
d'un système informatique, et l'analyse de
celles-ci grâce à la production interactive
d'images synthétiques, animées et en
couleurs ; cette approche place le chercheur
dans une boucle de rétroaction, où le sens
de la vision retrouve, après une mise à
l'écart relative au cours des dernières
décennies, le rôle privilégié qui est fort
probablement à l'origine de la curiosité
scientifique. Nous allons tenter d'illustrer
dans les pages qui suivent ses différentes
facettes à l'aide d'images significatives et
pertinentes tant sur le plan scientifique que
sur celui de l'esthétique.
5.1-Concrétiser, présenter, synthétiser :
En règle générale, une expérience virtuelle fait appel
à l'approche numérique pour la résolution
des équations constitutives des modèles
mis en œuvre. Elle fournit donc ses
résultats sous la forme de nombres ; la
plupart du temps, le volume ce ceux-ci est
tel que leur analyse sous une forme
alpha-numérique est impensable et même
absurde [23]. C'est ainsi que, lors d'un
passage en machine d'un programme
d'étude de la turbulence bidimensionnelle,
dans un domaine carré échantillonné par
10^3x10^3 points, le nombre de valeurs
obtenues au bout de 100 pas de temps, est
de l'ordre du milliard, ce qui imprimé,
représenterait un volume équivalent à un
millier d'annuaires téléphoniques ! C'est
pour cette raison que, jusqu'à un passé
relativement récent, seules quelques
valeurs particulières (extréma,
moyennes,...) étaient éditées, faisant
perdre par la-même toute la richesse
morphologique tapie dans les nombres...
Le passage du quantitatif (très restreint) au
qualitatif a été rendu possible grâce aux
techniques de la synthèse d'images
connues du grand public par la publicité et
les effets spéciaux du cinéma [24].
Figure 001 ,
Figure 002 : Bien qu'elles aient leurs
racines dans les phénomènes naturels (la
régularité des trajectoires célestes, la
périodicité de certains événements,...) ainsi
que dans les opérations quotidiennes
(compter, partager,...), les mathématiques se
sont en fait peu à peu éloignées du sens
commun. Elles sont en général qualifiées
d'abstraites, alors qu'elles sont aussi
sciences des formes et des relations. Est-il
alors raisonnable de leur refuser toute aide
visuelle ? Aujourd'hui, grâce à la production
d'images de synthèse, il est possible de
rendre concrets certains objets
mathématiques, facilitant par la-même leur
compréhension. Quitte à choquer les
puristes, il semble que renaissent chez
quelques mathématiciens "purs" certaines
pratiques expérimentales. Nous verrons par
la suite, quelles précautions doivent être
prises pour éviter les inévitables pièges
tendus par les techniques utilisées (voir le chapitre douter).
Les illustrations 001 et 002 nous
montrent deux surfaces suivant des
techniques de représentation qui seront
précisées avec la légende de la figure 052. Les
équations correspondantes sont dûes a
Patrice Jeener, et sont données ici en
coordonnées paramétriques :
ku
F (u,v) = e (1+cos(v))cos(u)
x
ku
F (u,v) = e (1+cos(v))sin(u)
y
ku
F (u,v) = e (2+sin(v))
z
log(2)
k = --------
2.pi
u ∈ [-2.pi,+2.pi]
pi
v ∈ [- ----,+pi]
2
et :
mu
F (u,v) = e ((cos(mv)cos(u)ch(v))+(sin(mv)sin(u)sh(v)))
x
mu
F (u,v) = e ((cos(mv)sin(u)ch(v))-(sin(mv)cos(u)sh(v)))
y
_____
/ 2
mu \/ 1+m
F (u,v) = -e ----------sin(mv)
z m
1
m = ---
2
u ∈ [-2.pi,+2.pi]
pi pi
v ∈ [- ----,+ ----]
2 2
respectivement.
Figure 003 ,
Figure 004 :
Issues de calculs effectués
dans le plan complexe, ces deux illustrations
nous montrent deux visions originales de
l'ensemble de Mandelbrot (celui-ci sera
défini lors de la description de la figure 018).
Elles sont présentées ici, car elles
synthétisent chacune à leur façon 262144
nombres. Il peut paraître trivial de dire que
les formes extraites de ces images par le
système visuel ne pourraient pas l'être à la
lecture de ces nombres, bien qu'elles y soient
présentes, mais la situation n'a pas été
toujours aussi évidente.
Figure 005 ,
Figure 006 ,
Figure 007 :
Ces trois images nous
donnent à contempler le processus de calcul
de l'ensemble de Mandelbrot (005) et d'un type
d'ensemble appelé ensembles de Julia (006,
007)
que nous définirons dans la légende de la
figure 018. Seize étapes sont présentées de
gauche à droite et de bas en haut.
Figure 008 :
Encore sous-employées, voire méconnues, les techniques de
l'expérimentaion virtuelle trouvent tout
naturellement leur application dans la
pédagogie, domaine qu'elles pourraient bien
bouleverser ("un bon dessin vaut mieux
qu'un long discours"). Nous voyons ici une
illustration destinée au cours de Mécanique
Quantique de Jean-Louis Basdevant à l'Ecole
Polytechnique ; elle montre différents états de
l'atome d'hydrogène. Bien évidemment, et
c'est là un problème fondamental sur lequel
nous aurons l'occasion de revenir, cet
"objet" n'a pas de représentation a priori.
Trente-six états caractérisés par les deux
nombres quantiques n ∈ [1,8] (en abscisse) et
l ∈ [0,7] (en ordonnée) sont présentés suivant
une coupe plane passant par le noyau de
l'atome ; les zones qui, à l'intérieur de
chaque "vignette", paraissent plus bosselées
que les autres, sont celles où la probabilité de
trouver l'électron est la plus grande. En
particulier, le lecteur notera l'étalement de
l'atome lorsque le nombre quantique n
augmente, ce phénomène surgissant
spontanément de cette image...
5.2-Prévoir, réfuter :
La science, pour avancer, doit d'une part
nous révéler de nouveaux phénomènes
(c'est la prédiction), et d'autre part
éliminer ses modèles erronés (c'est la
réfutation). L'image facilite ces opérations
parce qu'elle nous présente les résultats
sous une forme beaucoup plus globale et
synthétique que tout autre moyen existant.
Parfois même les représentations calculées
seront figuratives et donc directement
comparables à celles qui auront pu être
obtenues lors d'expériences naturelles.
Figure 009 :
Alors que la physique dite
classique ne semblait plus devoir nous
réserver de surprises, laissant cela en
particulier à la mécanique quantique, la
découverte du chaos déterministe [25] a
montré qu'une fois encore, il était essentiel
de se méfier de l'eau qui dort. Cette
terminologie recouvre des systèmes dont le
comportement (et donc l'évolution) semblent
aléatoires, alors qu'un modèle purement
déterministe les décrit. Point est besoin
d'aller chercher les équations les plus
complexes ; à titre d'exemple, l'itération non
linéaire suivante :
X = 0.5
0
X = RX (1 - X )
n n-1 n-1
présente, malgré son élémentarité, un tel
comportement pour les valeurs de la
constante R supérieure à 3.57. Au lieu de
considérer R comme une constante, comme
cela est fait bien souvent, nous pouvons
étudier l'influence de ses variations
périodiques : à chaque itération (c'est-à-dire à
chaque incrémentation de n : n=0,1,2,...), R
prend comme valeur R1 ou R2 suivant la loi
périodique (arbitraire) :
R1 ==> R1 ==> R1 ==> R1
/\ ||
|| \/
R2 R1
/\ ||
|| \/
R2 R1
/\ ||
|| \/
R2 <== R2 <== R2 <== R2
Les axes OX et OY de la figure 009
correspondent respectivement aux valeurs de
R1 et R2, telles que :
3.0 < R1 < 3.7
3.0 < R2 < 3.7
Chaque point (R1,R2) de l'image est donc
associé à un système S(R1,R2) qualifié de
dynamique. La couleur en caractérise la
stabilité : les zones chaotiques apparaissent
en noir, alors qu'un dégradé
rouge-gris-jaune-gris est utilisé pour les
zones stables.
Figure 010 :
cette figure nous montre un
très fort agrandissement d'une zone
pratiquement invisible (de par sa petite taille)
et figurant en haut et à droite de 009.
Figure 011 :
cette figure nous présente la
même information que 009, mais suivant un
code représentatif différent (ce problème
crucial sera développé par la suite) : l'image
nous apparait telle celle d'un paysage vu
d'avion, dont les plaines correspondraient
aux zones chaotiques, alors que les pics
représenteraient les zones stables.
Figure 012 ,
Figure 013 : la mécanique des fluides
est un domaine de prédilection pour ces
techniques, aussi bien au niveau fondamental
qu'industriel. Ces deux images nous
montrent la trajectoire d'une particule
appartenant à un fluide idéal à deux
tourbillons, bidimensionnel et instationnaire,
modélisé par le système d'équations suivant :
dx DH
---- = + ----
dt Dy
dy DH
---- = + ----
dt Dx
1 2 2
H = ------log(|z - w |)
2.pi
z = x+iy
w = 1 + EPSILON.cos(OMEGA.t)
Comme pour la figure 011, la représentation
utilisée pourrait paraître éloignée de
l'intuition. En effet, les deux dimensions
d'espace (x et y) décrivent une section plane
et radiale d'un tore (apparaissant nettement
sur les deux illustrations), alors que le temps
(t) en parcourt périodiquement un grand
cercle ; cette représentation a été mise en
évidence par Henri Poincaré à la fin du
dix-neuvième siècle. Ainsi, l'expérimentateur
peut observer simultanément le système qu'il
étudie dans le temps et dans l'espace.
Figure 014 ,
Figure 015 ,
Figure 016 : Au début des
années soixante, lors d'études portant sur
l'évolution du climat terrestre, le
météorologue Edward Lorenz a proposé un
modèle très simplifié régi par le système non
linéaire suivant :
- dx
| ---- = -10x + 10y
| dt
|
| dy
< ---- = 28x - y - xz
| dt
|
| dz 8
| ---- = - ---z + xy
- dt 3
La figure 014 nous montre 16 points de vue
différents de la trajectoire que décrit le
système au cours du temps dans l'espace
[x,y,z], à partir de conditions initiales
(x0,y0,z0) données ; chaque point
(matérialisé par une petite sphère éclairée)
montre la position du point représentatif à un
instant donné. Cet objet s'appelle l'attracteur
de Lorenz, et les figures 015
et 016 nous en
montrent deux vues particulièrement
esthétiques ; sur celles-ci, il est possible de
comprendre la terminologie employée : en
effet, le système passe la majeure partie du
temps autour de l'un des deux centres
d'attraction très visibles sur les images. La
couleur n'a pas ici qu'une valeur artistique ;
elle véhicule une information pertinente : les
intensités des trois couleurs fondamentales
(le Rouge, le Vert et le Bleu) sont
proportionnelles respectivement aux trois
dérivées en t définies ci-dessus.
Figure 017 :
Ainsi que l'a montré Edward
Lorenz, ce système dynamique est dit
sensible aux conditions initiales (c'est l'effet papillon).
Cela signifie que d'infimes
variations dans les conditions initiales (le
battement des ailes d'un papillon) pourront
avoir des conséquences notables quant au
devenir du système (une tornade aux
antipodes...), et ce au bout d'un temps fini.
Sur cette figure nous pouvons voir 16
évolutions différentes du même système pour
16 jeux de conditions initiales différentes ;
ces dernières peuvent être observées
facilement sur l'image en bas et à gauche :
elles sont représentées par le point central.
Ensuite d'image en image (de gauche à droite
et de bas en haut), elles se déplacent
linéairement. L'observation de ce
changement montre clairement que les
trajectoires se ressemblent au cours des
premiers instants (au voisinage des
conditions initiales), pour ensuite évoluer de
façons parfois tout à fait opposées (le calcul
est effectué pour 400 instants successifs, il y
a donc 400 points représentatifs par image).
C'est la, l'une des raisons de l'impossibilité
de la prévision météorologique à long terme :
en effet, les mesures faites (températures,
pressions, degrés d'hygrométrie,...) sont les
conditions initiales des modèles de prévision ;
comme les instruments correspondants
n'ont pas une précision infinie, il y a une
incertitude initiale, qui s'amplifie donc de
plus en plus au cours du temps simulé...
Nous verrons plus tard une autre raison de
renoncer à cet espoir (voir la figure 082).
5.3-Découvrir, expliquer, généraliser :
L'image est aussi un fabuleux champ de découverte :
en effet, sous l'œil du chercheur ou de
l'ingénieur, de ces représentations
surgissent spontanément des formes
"spatio-temporelles", bien souvent
imprévues et imprévisibles (bien que déjà
présentes dans les équations...), qui seront
pour lui des indices de régularités
sous-jacentes ou bien de pistes à suivre. Il
s'agit donc d'un instrument
révolutionnaire (comme le furent en leur
temps le télescope et le microscope) qui
permet l'observation, mais aussi, et
surtout, la manipulation indirecte d'objets
qui autrement seraient hors de notre portée
et de notre regard. Tout ceci rend
prophétique la remarque faite par Heinrich
Hertz au dix-neuvième siècle : "on ne peut
échapper au sentiment que ces formules
mathématiques ont une existence qui leur
est propre, qu'elles sont plus savantes que
ceux qui les ont découvertes, et que nous
pouvons en extraire plus de science qu'il
n'en a été mis à l'origine".
Figure 018 :
L'ensemble de Mandelbrot M
est un objet fractal (c'est-à-dire dont la
structure se répète à toutes les échelles
d'observation) obtenu par un processus
itératif élémentaire [26]. En chaque point C
du plan complexe, nous définissons la suite :
2
Z = Z + C
n n-1
avec :
Z = 0
0
Lors de cette itération deux cas se rencontrent :
[1] : |Z | < INFINI ∀ n
n
ce qui signifie que les éléments de la suite Zn
restent à distance finie de l'origine ; Nous
dirons alors que le point courant C appartient
à l'ensemble de Mandelbrot M.
[2] : |Z | --> INFINI
n
ce qui signifie que les éléments de la suite Zn
s'éloignent à l'infini ; nous dirons alors que
le point courant C n'appartient pas à
l'ensemble de Mandelbrot M.
Cette figure nous montre M dans son
intégralité en haut et à droite, alors qu'en bas
et à droite un agrandissement de sa frontière
nous est révélé. Les couleurs sont, dans ces
deux cas, choisies arbitrairement, bien que
fonction de l'indice n défini ci-dessus (et que
l'on restreint, pour des raisons évidentes de
calculabilité, à ne pas dépasser la valeur de
255, alors que pour bien faire il faudrait
fréquemment aller jusqu'à l'infini ; cela
implique qu'en général l'appartenance à M
n'est jamais acquise, alors que la non
appartenance est plus sûre, bien qu'au
voisinage de la frontière, les erreurs
d'arrondi -voir la figure 082- peuvent venir
brouiller les cartes...). En bas et à gauche,
cet agrandissement est représenté
tridimensionnellement, le troisième axe,
orthogonal au plan complexe, indiquant les
valeurs de n. Enfin, en haut et à gauche, un
autre objet est visualisé : il s'agit d'un
ensemble de Julia J. Ce dernier est, d'une
façon générale, paramétré par un nombre
complexe A (dans le cas présent, son point
représentatif est situé au centre de
l'agrandissement bidimensionnel précédent).
L'ensemble de Mandelbrot M peut être
considéré comme un catalogue
"comportemental" des ensembles de Julia J ;
en particulier M est l'ensemble des J
connexes. De la découverte de ces objets, il
est possible de tirer un certain nombre de
remarques : la première est que l'ordre, la
complexité et la beauté peuvent naître du
simple et du chaotique ; la seconde est que la
Connaissance est peut être elle-même un
objet fractal : en effet ne voit-on point
apparaître périodiqement de nouvelle théories
englobant celles qui les ont précédées. Mais
se rapproche-t-on pour autant de la Réalité en
soi ? Il est possible par exemple d'essayer
d'obtenir des agrandissements de la frontière
de M (voir la figure 064), mais quel que soient
nos efforts, de nouveaux détails apparaissent
sans cesse ; ne sommes-nous pas engagés
dans une telle course sans espoir par la
Science ? Existe-t-il une théorie ultime ? La
réponse à ces questions gît peut-être quelque
part dans ces images...
Figure 019 :
Cette figure nous montre seize
ensembles de Julia J obtenus pour seize
nombres complexes A répartis régulièrement
sur une courbe longeant, à l'extérieur, la
frontière de M. Cette courbe traverse M de
temps en temps : c'est cela qui explique que
certains J soient connexes, alors que la
plupart ne le sont pas (revoir la légende de la
figure 018).
Figure 020 :
Cette figure généralise 019, tout
en conservant les mêmes paramêtres (les
images de 019 et de
020 sont associées deux à
deux). En effet la démarche est strictement
identique, si ce n'est que l'étude est réalisée,
non pas dans le corps des nombres
complexes, mais dans celui des quaternions.
Si certaines précautions méthodologiques ont
été prises [27], le même programme peut être
utilisé dans les deux cas, facilitant ainsi la
généralisation. Les objets visualisés sont en
fait des coupes tridimensionnelles des objets
quadridimensionnels calculés.
Figure 021 :
Nous voyons ici une coupe
tridimensionnelle effectuée dans l'ensemble
de Mandelbrot calculé dans le corps des
quaternions.
Figure 022 : Visualisation monochrome de
l'un des ensembles de Julia de la figure 020.
Elle montre combien les formes
mathématiques peuvent être pures et sources
d'inspirations artistiques.
Figure 023 ,
Figure 024 ,
Figure 025 ,
Figure 026 ,
Figure 027 : Quelques
unes des plus belles "sculptures" obtenues
par la procédure décrite en 20. La couleur est
ici utilisée pour nous aider à mieux apprécier
la profondeur de ces objets : en effet, ils sont
découpés en plans parallèles orthogonaux à
la ligne de visée, et chacun d'entre-eux est
colorié à l'aide d'une couleur spécifique (il
s'agit là d'un problème sur lequel nous
reviendrons, mais nous pouvons déjà
préciser que ces objets nous étant a priori
inconnus, nous sommes incapables d'en
apprécier facilement l'extension spatiale ; des
aides complémentaires doivent donc être
fournies, dont ce type de mise en couleurs
fournit un premier exemple).
5.4-Explorer, voyager :
L'homme disposera bientot de la machine
à voyager dans l'espace-temps. Bien sûr,
il ne s'agira certainement pas là d'un
moyen de déplacement matériel, mais d'un
dispositif utilisant les techniques ici
décrites. L'homme ainsi libéré des
contraintes physiques (vitesses limitées,
échelles incompatibles, dangers
divers,...), sera à même de voyager
instantanément d'un bout à l'autre de
l'Univers-Modèle, et d'en explorer toutes
les échelles. Déjà, il est possible de
survoler la planète Mars, d'approcher un
trou noir, de pénétrer à l'intérieur du corps
humain,... Quels voyages nous réserve
demain ?
En face de ces perspectives, une
objection majeure pourrait être formulée :
les modèles de fragments de la réalité que
nous construisons ne sont pas eux-mêmes
la Réalité. Cette affirmation, bien
qu'incontestable doit être nuancée ; en
effet, cette Réalité, que Bernard
d'Espagnat qualifie de voilée [28]
(transcendante serait peut-être un
qualificatif plus approprié), quelle est-elle
et nous est-elle accessible ? Nos sens (et la
vue en particulier) ne nous permettent pas
de l'appréhender directement ; nous n'en
percevons en fait qu'un modèle (non
mathématique ?) construit patiemment au
cours des âges par les zones sensorielles
de notre cerveau. La validité de ce modèle,
que nous avons déjà qualifié de Réalité
empirique, nous est inconnue. Rajouter
une couche supplémentaire, dont nous
sommes les maîtres et qui est peut-être
moins arbitraire que la précédente, ne vas
pas à l'encontre de l'ordre des choses...
Figure 028 :
Longtemps considérés comme
élémentaires, les nucléons (le proton et le
neutron), sont aujourd'hui décrits en tant
qu'objets composés. Le modèle, dit
"standard", des particules et de leurs
interactions repose sur les bosons (les
"vecteurs des forces") et les fermions (la
"matière") ; dans cette dernière catégorie se
trouvent les leptons et les quarks [29]. Cette
image nous montre une vue d'un nucléon tel
qu'il est défini dans ce modèle : il est
constitué de trois quarks dits "réels" (ou de
valence) localisés approximativement aux
sommets d'un triangle équilateral assez
apparent sur cette figure ; ils sont
respectivement porteurs d'une charge de
couleur rouge, verte et bleue (cette charge est
naturellement représentée à l'aide des
couleurs plus familières et de même nom).
Une "mer" de particules virtuelles (quarks et
anti-quarks -objets sphériques-, gluons
-objets allongés-) nées des fluctuations
quantiques du vide et des interactions,
remplit le "volume" du nucléon.
Figure 029 :
Les objets quantiques (si tant
est que le mot objet soit approprié) sont très
certainement ceux qui sont le plus éloignés
de notre intuition. Des modes de
représentation doivent donc leur être
inventés. Nous voyons ici une tentative de
représentation de la densité dp de probabilité
de l'électron dans l'atome d'hydrogène, à
une distance donnée du noyau et pour l'état
excité n=8 et l=6 (revoir la figure 008), à l'aide
de petites boules. Chacune d'entre-elles
possède un rayon proportionnel à dp évalué
en son centre ; ainsi plus une boule nous
apparaitra volumineuse, plus l'électron aura
de chance de se trouver dans cette région.
Bien qu'il s'agisse là d'un problème sur
lequel nous reviendrons (voir la figure 083),
disons dès à présent que les couleurs
utilisées ont été choisies relativement
arbitrairement, et qu'elles ne véhiculent ici
aucune information pertinente relativement au
sujet traité ; une telle visualisation, si elle
peut paraître plaisante à l'œil, est perturbante
et peut pousser son observateur à des
conclusions incomplètes, voire erronées, s'il
n'est pas averti de ce fait. La couleur doit,
dans ce contexte, être utilisée à bon escient,
et surtout ne jamais l'être quand elle n'est pas
nécessaire ! Scientifiquement parlant, cette
image serait ainsi plus utile en noir et blanc...
Figure 030 ,
Figure 031 ,
Figure 032 ,
Figure 033 ,
Figure 034 ,
Figure 035 ,
Figure 036 ,
Figure 037 ,
Figure 038 ,
Figure 039 : La géométrie
fractale, que la
figure 018 nous a déjà fait entrevoir, est un
outil mathématique récent conçu par Benoît
Mandelbrot [30]. Contrairement à ses sœurs
dites euclidienne et non euclidiennes, elle est
parfaitement adaptée à la description de
phénomènes et d'objets complexes, aux
apparences éventuellement désordonnées.
C'est ainsi que les fluctuations des cours de
la bourse, le front d'avancée d'un incendie
de forêt, ou encore la limite entre deux
milieux diffusant l'un dans l'autre, peuvent
aujourd'hui être décrits à l'aide du même
langage. Elle permet la modélisation de
nombreux phénomènes naturels [31], et
constitue donc un outil puissant pour la
synthèse d'images. Nous voyons ici
plusieurs paysages complètement
"imaginaires" calculés à partir d'équations,
qu'il s'agisse du relief, des nuages et de la
brume, ou encore de la neige [32].
Figure 040 : Visualisation poétique du Big
Bang...
5.5-Simuler, tromper :
Dans certains cas, l'image pourra devenir
préponderante par rapport au modèle.
Ainsi lors d'utilisation pédagogique, les
descriptions mathématiques sous-jacentes
pourront être allégées, ou bien à la limite
n'avoir aucun rapport avec l'objet en soi...
Figure 041 :
Malgré leur aspect réaliste, ces
images des rythmes saisonniers sur un même
paysage ne doivent pas nous laisser croire
que, pour les obtenir, les disciplines
nécessaires à la compréhension des
phénomènes sous-jacents (géologie,
tectonique des plaques, mécanique des
fluides,...) sont nécessairement maîtrisées.
En réalité, ici seules les formes sont
modélisées dans le cadre de la géométrie
fractale, alors que les processus
morphogénétiques correspondants sont
complètement absents ; mais plus, ils doivent
être ignorés, car en effet, s'ils étaient
parfaitement connus et utilisés, ils
donneraient très certainement naissance à des
programmes de génération effroyablement
lents et extremêment complexes. Pour faire
une analogie, nous pouvons dire que pour
montrer, à l'aide de la synthèse d'image, une
voiture se déplacant sur une route, il est en
général fortement conseillé d'ignorer le
fonctionnement du moteur à quatre temps
(sauf, bien entendu, si le but de cette
animation est de le montrer à l'œuvre...).
Figure 042 ,
Figure 043 ,
Figure 044 : D'autres formes
naturelles que les paysages peuvent être
appréhendées à l'aide la géométrie fractale.
Les deux figures 042
et 043 nous montrent des
exemples relevant du règne végétal, alors que
044 nous présente une séquence d'évolution
obtenue en faisant varier l'un des paramêtres
de contrôle (la figure 054 nous en donnera
d'autres exemples). Mais la encore, comme
pour la figure 041, aucune information
botanique n'est nécessaire pour obtenir ce
résultat.
Figure 045 :
La figure 028 nous a déjà
montré une représentation possible d'un
nucléon. Cette image nous en propose une
nouvelle. Ici, comme avec les illustrations
041, 042,
043 et 044,
il ne faudrait pas croire que
la mécanique quantique et son modèle de
l'interaction forte soient suffisants, voire
nécessaires, pour obtenir ces images. Elles
sont en fait le résultat d'une description mixte
constituée de dix pour-cent d'informations
issues de la théorie (par exemple les
différents diagrammes de Feynman
nécessaires) et de quatre-vingt-dix pour-cent
de résultats expérimentaux ; parmi ceux-ci, le
plus important est très certainement le
confinement : il signifie, en quelque sorte,
que les particules constitutives du nucléon ne
peuvent s'en échapper. Cette propriété ne
pouvant être deduite actuellement des lois de
la physique, il est nécessaire de la rajouter
artificiellement. Cette image ne doit donc pas
être considérée à proprement parlé comme le
résultat d'une expérience virtuelle et doit être
qualifiée de simulacre. Mais elle est aussi un
excellent exemple d'une application relevant
de la pédagogie ou, comme nous l'avons
déjà dit, le potentiel de l'image est
pratiquement infini ; dans ces conditions, il
serait donc fortement regrettable de ne pas
illustrer un résultat sous prétexte que le
modèle scientifique du phénomène est encore
incomplet ou trop complexe.
5.6-Représenter :
Ainsi donc, les résultats de ces calculs doivent
être mis en image, et contrairement à ce
que certains pourraient croire, visualiser
est loin d'être aussi simple qu'imprimer.
En effet un certain nombre de problèmes
surgissent. Le premier de ceux-ci, et non
le moindre, est lié au fait que dans ce
contexte (cela est surtout vrai dans le
domaine de la recherche fondamentale,
mais s'observe aussi bien dans de
nombreuses études industrielles) et
contrairement aux applications artistiques
ou de type CAO de la synthèse d'images
[24], les "objets" étudiés sont bien souvent
éloignés du sens courant, voire "interdits
de représentation" (en mécanique
quantique en particulier), ou à la limite, ne
possèdent pas d'image "naturelle" (une
pression tout simplement...). Ils n'ont
donc aucune contrepartie visuelle et
familière : il convient donc d'imaginer,
d'inventer des modes de représentation.
Figure 046 :
Les résultats numériques des
expériences virtuelles concernent bien
souvent des entités abstraites (revoir par
exemple les figures 014
et 018 pour lesquelles
il est évident qu'un (ou plusieurs) mode de
représentation doit alors être imaginé). Mais
c'est aussi le cas, malheureusement, d'objets
dont on sait expérimentalement qu'ils
existent, mais que l'œil d'aucun observateur
n'a jamais vu et ne verra jamais : c'est le cas,
par exemple, des particules dites élémentaires
(même si elles ont perdu aujourd'hui cette
propriété...). Comment donc les représenter,
sans de plus rentrer en conflit avec les grands
principes de la mécanique quantique :
- la relation d'incertitude d'Heisenberg [29]
qui limite la connaissance simultanée qu'un
observateur peut avoir de la position et de la
vitesse d'une particule, et donc interdit de la
représenter comme une petite sphère bien
localisée et se déplacant bien régulièrement
sur un écran ; le "flou quantique" doit donc
être rendu visuellement, mais en le limitant
de façon à donner à l'œil de l'observateur les
quelques points de repère nécessaires.
- la non séparibilité découverte récemment qui
nous montre que le découpage de la Réalité
en objets n'est qu'une illusion de nos sens
[01] ; elle aussi nous demande donc de
proscrire la vision "particulaire" et bien
localisée qu'imposent presque
obligatoirement les techniques de la synthèse
d'image.
Figure 047 ,
Figure 048 : Pour illustrer la difficulté
du problème de représentation, point n'est
besoin de fréquenter l'univers quantique ;
ainsi, très simplement, nous pouvons nous
poser la question de savoir comment
visualiser un simple champ scalaire
bidimensionnel (c'est-à-dire un tableau de
valeurs numériques représentant, par
exemple, des températures) ? La méthode la
plus simple qui puisse être imaginée consiste
à découper l'ensemble des valeurs
numériques en intervalles bien définis, et à
associer à chacun d'entre-eux une couleur
particulière (c'est ce qui a été fait, par
exemple, pour représenter l'ensemble de
Mandelbrot sur la figure 018). Sur ces
images, nous présentons une autre solution à
ce problème : considérant le champ comme
porté par un plan, nous adjoignons à ce
dernier un axe qui lui est orthogonal ; sur
celui-ci nous portons les valeurs numériques
à représenter. Ainsi nous construirons une
surface dont l'altitude sera en chaque point
proportionnelle à ces dernières. C'est ce que
montrent ces deux figures ; leur calcul utilise
de plus une source lumineuse produisant des
ombres portées, aide inappréciable pour la
compréhension des objets tridimensionnels
(en particulier, elle facilite la "lecture" des
formes et des relations que ces dernières
entretiennent entre elles ; notre système
visuel l'utilise constamment sans que nous
en ayons pleinement conscience).
Figure 049 : Les scènes issues
d'expériences virtuelles sont bien souvent
inconnues de celui qui les observe pour la
première fois. Dans le but de faciliter la
lecture de ces images, d'autres aides que les
ombres portées peuvent être utilisées et
associées. Cette figure montre une surface
éclairée, pour laquelle la luminosité apparente
de chaque point est une fonction
décroissance de la distance qui le sépare de
l'observateur. Ainsi les arrière-plans nous
apparaissent plus sombres que les premiers
plans, et sont donc reconnus comme tel.
Figure 050 : Cette façon de visualiser
tridimensionnellement des ensembles
bidimensionnels de valeurs numériques
pourrait sembler complexe, voire inutile. Il
n'en est rien ainsi que le montre cette image.
En effet, les figures 047,
048 et 049 nous ont
déjà montré de telles surfaces ; ces dernières
avaient une apparence monochrome
(l'éventuelle couleur venant de celle de la
source lumineuse). Par contre, sur cette
nouvelle figure, nous pouvons observer des
plages de couleurs, ainsi que des lignes
blanches. Cette méthode de représentation
permet en effet de présenter simultanément
plusieurs ensembles de données
bidimensionnelles (en général deux) : ici le
premier ensemble définit la surface, alors que
le second donne naissance à un "papier peint
élastique et coloré" qui vient décorer cette
dernière (les lignes blanches étant en fait une
deuxième "couche" correspondant à un
troisième ensemble). La représentation
simultanée de plusieurs ensembles suivant
cette méthode facilite donc l'étude visuelle
des relations qu'ils entretiennent entre eux.
Figure 051 :
Notre œil (sous-entendu tout le
système visuel...) a l'habitude de voir des
scènes "réelles" qui ont la propriété d'être
pratiquement toutes tridimensionnelles ;
lorsqu'un point particulier est observé, les
zones plus éloignées, ainsi que celles qui
nous sont plus proches, nous paraissent plus
ou moins floues (c'est ce qui est appelé
profondeur de champ en photographie).
Dans le but d'améliorer davantage la
perception des images de synthèse
(scientifiques en particulier), ce que certains
qualifieront de défaut optique peut être
reproduit ainsi que le montre cette figure.
L'ensemble des plans qui la composent sont
présentés avec une netteté variable (seul le
centre de l'image n'est pas flou), facilitant
ainsi la reconnaissance du premier et de
l'arrière plans.
Figure 052 :
Malheureusement, les
techniques présentées dans les images
précédentes ne suffisent pas. En effet, dans
de très nombreux cas, les "objets" à
représenter sont de dimensions supérieures à
deux (en considérant une surface de notre
espace comme ayant cette propriété). Pour
illustrer concrètement cette difficulté, il suffit
de comparer la facilité avec laquelle la surface
d'une boîte (constituée, par exemple, de six
quadrilatères plans) peut être représentée, à la
difficulté de montrer comment du sable en
occuperait le volume intérieur (puisqu'en
particulier il y aura des interstices irréguliers
entre chaque grain...). Cette image montre
une méthode possible pour résoudre ce
problème : elle consiste à "atomiser" l'objet à
représenter, c'est-à-dire à n'en conserver que
quelques points essentiels. Chacun
d'entre-eux est alors représenté à l'aide d'une
sphère éclairée dont le rayon et la couleur
permettent de coder quatre (1+3)
informations (ou quatre dimensions)
supplémentaires (rappelons à ce propos que
le modèle chromatique sous-jacent à ces
images est celui de la synthèse additive [33] ;
ainsi la couleur de chaque point est définie à
l'aide de trois nombres associés chacun à
l'une des trois composantes fondamentales
-le Rouge, le Vert et le Bleu-). Cette méthode
a été utilisée pour générer les figures 001
et 002 ;
elle permet alors de voir à travers les surfaces
(puisqu'elles sont faites principalement de
vide), sans en perdre la forme
tridimensionnelle (grâce à l'utilisation des
sphères éclairées et vues en perspective), et
enfin en permettant de visualiser
simultanément d'autre informations grâce à la
couleur en particulier. La figure 052 nous
montre le paysage fractal des figures 032
033 034
035 et 036
ainsi atomisé et colorié à l'aide du visage de
Flore du Printemps de Botticelli...
Figure 053 ,
Figure 054 : Tous les artifices
possibles pour nous aider à comprendre les
images issues d'expériences virtuelles
doivent être essayés. La brume est l'un de
ceux-ci ; ainsi la figure 053 nous présente de
nouveau la séquence d'évolution de 44, alors
que 54 en est un prolongement obtenu en
jouant fortement avec l'un des paramêtres de
contrôle. Immédiatement et sans effort, la
brume nous indique quelles sont les parties
de ces formes qui sont situées au premier
plan, et quelles sont celles qui sont plus
éloignées de nous.
Figure 055 ,
Figure 056 ,
Figure 057 ,
Figure 058 : N'oublions pas
que la plus grande partie de ces objets évolue
au cours du temps. Ces quatre figures
représentent des tentatives de transcription
statique du temps. Ainsi, ces quatre images
sont des "superpositions" possibles des
vignettes de la figure 054. Mais nous
reviendrons plus loin sur ce délicat
problème...
5.7-Manipuler, révéler :
Après les difficultés de représentation,
nous nous heurtons au second problème ;
les "scenes" à représenter seront bien
souvent multidimensionnelles [34] et nous
confronteront fréquemment au
"jamais-vu", au "complexe", au
"troublant"... Or, si nous reconnaissons si
bien notre environnement quotidien, c'est
que nous le connaissons déjà ; ces
"scènes" issues de nos expériences
virtuelles ne nous seront en général pas
familières. Des moyens "exploratoires"
doivent donc être mis à la disposition du
chercheur ou de l'ingénieur pour lui
permettre de naviguer dans ses résultats et
par la-même d'acquérir une meilleure
compréhension de ceux-ci. Par définition
même de la notion d'expérience, la
compréhension des images passe par une
exploration "naturelle" (sous-entendu
imprévisible, voire au hasard) de celles-ci.
Les techniques dites de la Réalité Virtuelle,
développées dans d'autres domaines (la
simulation de conduite ou les jeux par
exemple) et introduites dans ce contexte,
permettront au chercheur comme à
l'ingénieur de s'intégrer davantage à son
modèle (voire de s'y immerger), en
facilitant ainsi sa compréhension. Cette
notion, dont les débouchés ludiques sont
évidents, repose d'une part sur la
présentation à l'observateur d'images
stéréoscopiques dont le point de vue est
recalculé en permanence en fonction de sa
position et de son orientation instantanées,
et d'autre part sur des moyens de
rétroaction permettant, au sens strict du
terme, de vivre les expériences [35].
Figure 059 ,
Figure 060 :
Quitte à nous répéter, il
convient d'insister sur le fait qu'en règle
générale, les scènes issues d'expériences
virtuelles nouvelles nous sont inconnues.
Lorsqu'une image statique est réalisée, sous
un angle de vue arbitraire, il y a peu de
chances pour qu'elle nous montre les objets
sous le(s) bon(s) angle(s). Ainsi la figure 059,
image évoquant peut-être une île volcanique
dans le Pacifique, nous cache un élément
important qui nous est révélé par la vue de
dessus 60 : ses côtes ressemblent à la
frontière de l'ensemble de Mandelbrot. Il est
donc impératif de donner à l'observateur des
moyens de se déplacer dans ses espaces
virtuels afin de les explorer interactivement...
Figure 061 ,
Figure 062 ,
Figure 063 : Ces trois figures
illustrent de nouveau ce principe ; un certain
objet est représenté par la méthode
d'atomisation (revoir la figure 052). L'image
061 nous donne 16 points de vue différents
lors d'une rotation complète de l'observateur
autour de ce nuage de sphères, alors que 62
et 63 nous montrent deux étapes
intéressantes. Un examen attentif de ces
images montre que la plupart des points de
vue pourraient laisser croire que cet objet est
relativement aléatoire, alors qu'a certains
instants, un certain ordre surgit (qui fait
apparaître la frontière de l'ensemble de
Mandelbrot en tant que contour apparent des
sphères qui semblent flotter dans l'espace).
Figure 064 :
Ce qui a été dit précédemment
des points de vue peut l'être d'autres
paramêtres de l'observation. Il en est ainsi du
rapport d'agrandissement particulièrement
essentiel lors de l'étude des objets fractals.
Nous voyons ici 16 étapes d'une descente
vertigineuse sur une représentation
tridimensionnelle de l'ensemble de
Mandelbrot (revoir la figure 018). Ce
changement d'échelle nous permet
d'observer l'auto-similarité, propriété
fondamentale de ces objets (elle signifie que
les mêmes formes caractéristiques
réapparaissent à toutes les échelles
d'observation).
Figure 065 ,
Figure 066 :
Mais manipuler, ce n'est
pas jouer uniquement avec les paramêtres de
la représentation visuelle ; c'est aussi
modifier ceux qui contrôlent le modèle
lui-même. Nous voyons ici deux zooms de
caractéristiques géométriques identiques à
celui de la figure 064, mais où les
informations calculées sont très différentes
(sans rentrer dans les détails précisons qu'il
s'agit de l'exposant de Lyapunov, ce dernier
permettant de caractériser quantitativement le
chaos ou son absence).
Figure 067 ,
Figure 068 : Ces figures présentent
deux exemples regroupant un certain nombre
des techniques décrites antérieurement :
atomisation d'une surface (celle de la figure
002), mouvement de l'observateur, effet de
brume révélant la troisième dimension.
Figure 069 ,
Figure 070 ,
Figure 071 ,
Figure 072 : La difficulté
réside aussi dans la profusion des méthodes
développées (et nécessaires !). Il est essentiel
de bien comprendre que pour une image, être
belle et complexe n'est pratiquement jamais
une condition sine qua non garantissant sa
valeur scientifique. Néanmoins, de telles
pratiques peuvent être utililisées lors
d'activités de détournements artistiques tels
que nous les présenterons ultérieurement.
Ces quatre images nous montrent donc
l'étude de l'évolution d'une forme naturelle
(revoir les figures 042,
043 et 044) en
manipulant simultanément le modèle et les
conditions d'observation...
5.8-Animer, corréler :
Apres les difficultés de compréhension, le
troisième et dernier problème surgit ; il
trouve principalement son origine dans la
nature dynamique des "scènes" à
représenter. En effet, pratiquement tous les
systèmes relevant de l'approche
scientifique évoluent au cours du temps
(seuls peuvent échapper à cette
caractéristique, certains objets "purs"
relevant des mathématiques...). Cette
apparence spatio-temporelle doit donc être
restituée impérativement. Il convient de
noter au passage que certaines propriétés
spatiales ne peuvent être pratiquement
révélées que par l'observation d'un
mouvement. C'est ainsi le cas de relations
de voisinage : supposons par exemple un
ensemble de tâches se déplacant
aléatoirement dans un plan, deux
d'entre-elles restant constamment voisines
l'une de l'autre : cette relation n'apparaitra
pas sur une image fixe, mais uniquement
dans une animation (ce que l'on ne peut
malheureusement illustrer ici...).
Figure 073 :
Ainsi que cela a déjà été
évoqué, les modèles scientifiques sont pour
la plupart des modèles dynamiques
(c'est-à-dire dépendant du temps). Pour bien
"vivre" une expérience virtuelle, il est donc
impératif de restituer à l'observateur la
dimension temporelle. Ceci est bien entendu
difficile à illustrer ici, mais cette image donne
malgré tout un exemple à rattacher aux
paysages fractals des figures 031,
032, 033,
034, 035
et 036. Le
modèle utilisé est un générateur fractal à N
dimensions ; en calculant, par exemple, des
objets à quatre dimensions et en fixant
arbitrairement un axe comme jouant le rôle
du temps, des sections tridimensionnelles
orthogonales à cet axe pourront être
considérées comme figurant l'état d'un
certain système à chaque instant. Le
mouvement des nuages est ainsi calculé [32] ;
notons d'autre part que pour réduire la
quantité énorme des calculs nécessaires, tout
en permettant l'observation du mouvement
sur une durée quelconque, les calculs sont
effectués dans un espace "périodique" (un
hypertore), ce qui permet de reboucler la
séquence sur elle-même, sans d'ailleurs que
cette périodicité soit observable.
Figure 074 ,
Figure 075 ,
Figure 076 ,
Figure 077 : Le mouvement
est difficile à rendre sur un support statique
comme le papier. Malgré tout, comme le
montre ces quatre images, réussir dans cette
tentative peut nous révéler des phénomènes
qui autrement nous échapperaient. Il en est
ainsi, par exemple, des trajectoires
individuelles de très nombreuses particules
qui apparaissent matérialisées (elles
proviennent de l'intégration de l'ensemble
des images provenant du mouvement
présente sur la figure 014). Ainsi qu'il est
possible de le remarquer, ces différentes
trajectoires paraissent s'estomper : cela
permet de traduire visuellement le temps (une
faible luminosité étant associée à un âge
avancé...).
Figure 078 : Il s'agit ici d'une tentative
identique aux précédentes, et s'appliquant au
mouvement et à l'évolution de la figure 044.
Figure 079 : Dans le cas où l'objet dont
nous suivons l'évolution possède deux
dimensions (et a fortiori une seule), il est
possible de le montrer en temps qu'objet
statique d'un espace à trois dimensions
(respectivement deux). Ainsi, cette image
nous offre une telle représentation : chaque
plan vertical (d'une couleur déterminée)
correspond à un instant particulier du modèle
dynamique bidimensionnel correspondant
(illustré bi- et tridimensionnellement sur les
figures 087 et 088).
Figure 080 :
Mais l'animation, comme nous
l'avons déjà vu, peut nous permettre de
mieux connaître un objet complexe,
éventuellement statique. Cette image nous
montre, pour illustrer cette remarque, une
nouvelle plongée sur une représentation
tridimensionnelle de l'ensemble de
Mandelbrot.
5.9-Douter :
Malgré les problèmes evoques, la situation pourrait
paraître idyllique. En fait il n'en est rien ;
deux remarques doivent être formulées et
de nombreuses précautions doivent être
prises. D'une part les expériences ici
décrites ne portent, rappelons-le, que sur
le modèle d'un objet (le mot objet étant ici
à entendre dans son acceptation la plus
large) et non point sur l'objet lui-même
(mais encore une fois, bien souvent
celle-ci est de toute façon impossible, alors
que la connaissance doit progresser). Il
convient bien entendu de ne point
confondre les deux. D'autre part, de
nombreuses erreurs peuvent s'introduire à
différents niveaux...
Figure 081 : Cette figure nous présente une
image dont l'intérêt scientifique est douteux ;
le lecteur reconnaitra probablement un
"mélange" entre un ensemble de Julia et un
relief fractal. Elle fut en fait réalisée pour
servir de décor ("virtuel"...) dans un
reportage consacré à Adrien Douady (le
co-auteur de la démonstration de la connexité
de l'ensemble de Mandelbrot avec John
Hubbard). Il peut paraître évident que lors
d'une communication de nature scientifique
ou pédagogique, les documents présentés
doivent être les plus dépouillés possibles et
ne montrer que le strict nécessaire ;
malheureusement, la profusion d'outils de
visualisation (dont un grand nombre fut déjà
présenté dans les figures précédentes) fait
qu'il est tentant pour le scientifique
d'enjoliver les choses, en introduisant, par
exemple, des couleurs éclatantes et sans
grand rapport avec le phénomène représente.
Or, ainsi que nous allons le voir, ces
opérations (et celle de coloriage en
particulier) peuvent masquer des éléments
importants, voire essentiels, ou au contraire
mettre en évidence des phénomènes
inexistants...
5.9.1-Les erreurs de modélisation :
Faire une expérience
virtuelle signifie d'abord concevoir le
modèle de l'objet étudié . Ce processus
relève de la discipline dans laquelle évolue
le chercheur [36], mais aussi et de façon
systématique, des mathématiques, celles-ci
pouvant être qualifiées à juste titre de
fondation de la Science. A partir des
résultats collectes lors de l'observation des
phénomènes, des lois doivent être
formulées. Les phénomènes dont il vient
d'être question sont en général naturels (la
chute des corps, le mouvement des
planètes, la croissance des plantes,...) ;
mais cela peut ne pas être le cas : les
mathématiques forment elles-mêmes un
champ expérimental extremêment étendu
[37]. Des cette étape, de nombreuses
erreurs peuvent s'immiscer dans les
équations : conceptuelles [38] et de
"manipulation" [39]. Celles-ci peuvent très
bien ne jamais être décelées, ou beaucoup
plus tard ; ce sera ainsi le cas où l'objet
étudié se situe à la frontière de la
connaissance, ou bien lorsque la validation
expèrimentale du modèle est difficile voire
impossible (ètudes des premiers instants
de l'univers dans le cadre du modèle du
Big Bang par exemple). Mais d'ailleurs,
ces quelques remarques dèpassent
largement le cadre de l'Expèrimentation
Virtuelle...
5.9.2-Les erreurs de programmation :
Malheureusement, la
liste des difficultès ne s'arrête pas ici ; en
effet, la résolution des équations ne peut se
faire en toute généralité qu'en recourant à
l'utilisation d'un système informatique ;
cela implique donc l'écriture d'un
programme. Or, les programmes
constituent certainement la classe des
objets les plus complexes que l'homme
conçoive et développe aujourd'hui ; il n'est
pas rare de construire actuellement des
logiciels de plusieurs millions
d'instructions (voire beaucoup plus...)
impliquant de nombreux intervenants, sur
de très longues périodes. Même, si en
général les logiciels scientifiques
n'atteignent pas ces sommets, ils restent
souvent des édifices relativement instables,
construits parfois avec une rigueur et une
méthode discutables, et ou peuvent
subsister, même après les tests, un certain
nombre d'erreurs. Il est possible d'espérer
en réduire le nombre à l'aide d'outils
d'aide au développement [27] incluant, par
exemple, des langages de plus haut niveau
que ne l'est l'incontournable Fortran,
surtout plus proches du problème traité et
ou une séparation nette serait établie entre
la description de l'objet étudié et la (ou les)
méthode(s) de résolution utilisée(s).
Malheureusement, aucune certitude
n'existe aujourd'hui quant à la possibilité
de pouvoir réaliser un jour des logiciels
parfaitement fiables...
5.9.3-Les erreurs de calcul :
L'image pourra aider à déceler et à
localiser les erreurs de modélisation et de
programmation ; mais la liste des
difficultés n'est pas close, et il est des
erreurs qui dans l'état actuel de nos
connaissances et de nos techniques
semblent inévitables : il s'agit des erreurs
d'arrondi causées par la précision
forcément limitée des ordinateurs, et de
l'importance que celles-ci prennent dans
l'étude de certains problèmes. Les
méthodes de résolution utilisées reposent
pratiquement toutes sur le principe de
l'itération : connaissant les conditions
initiales (à l'instant t=0), l'état du système
est calculé à l'instant suivant (t=1), et plus
généralement, l'état du système à l'instant
t+1 est calculé à partir de celui qu'il avait à
l'instant t ; le passage d'un instant au
suivant se faisant en répétant
inlassablement les mêmes opérations. Des
erreurs commises au cours de ces calculs
pourront donc se propager d'étape en
étape, et dans le cas des problèmes non
linéaires [40], plutôt que de rester
minimes, elles pourront se voir amplifiées
au cours du temps, jusqu'à devenir
prépondérantes, auquel cas les valeurs
calculées n'auront plus aucune signfication !
Voici donc une nouvelle raison de
renoncer au rêve de Laplace... De plus, les
erreurs d'arrondi faisant perdre à la
multiplication des nombres sa propriété
d'associativité [41], les résultats obtenus
dépendront alors du type d'ordinateur
utilisé, de l'ordre des opérations imposées
par le programmeur (influence du
parenthésage en particulier
[42][43]), et de
la façon de générer le code exécutable par
le compilateur référencé (voir la figure 082).
Au sujet des nombres, une
remarque essentielle s'impose : les
mathématiques utiles dans ce contexte
reposent principalement sur les nombres
réels [44] ; malheureusement, un
ordinateur ne sait manipuler en toute
généralité qu'un sous-ensemble fini de
nombres rationnels (qui n'a d'ailleurs pas
la propriété d'être ce que les
mathématiciens appellent un corps,
puisque les erreurs d'arrondi font que les
résultats des opérations arithmétiques ne
sont en général pas représentables de façon
exacte...). Les nombres réels R étant
beaucoup plus nombreux que les nombres
rationnels Q et a fortiori que les éléments
d'un sous-ensemble fini de Q (rappelons
que Q est dénombrable, alors que R ne
l'est pas), l'ordinateur ne nous permet
l'accès qu'à une goutte d'eau dans la mer
des nombres. Or, des résultats théoriques
récents, tel le théorème KAM [45],
montrent que les manifestations les plus
intéressantes peuvent se rencontrer là où
précisemment l'ordinateur ne peut nous
emmener. Peut-on alors vraiment
prétendre étudier des systèmes reposant
sur les nombres réels avec un outil qui ne
sait ni les représenter, ni les manipuler ?
Figure 082 :
Les figures 014,
015 et
016 nous
ont déjà présenté l'attracteur de Lorenz. Il
s'agit, rappelons-le, d'un système
dynamique dit sensible aux conditions
initiales. Mais il est aussi particulièrement
sensible à la précision des calculs.
L'expérience présentée ici montre seize
images extraites d'un film visualisant la
trajectoire du système dans l'espace des
phases (x,y,z). Le calcul est réalisé
simultanément sur trois ordinateurs différents
à l'aide du même programme ; à chacun
d'entre-eux est associée l'une des trois
couleurs fondamentales :
- IBM RS6000 --> ROUGE
- IBM ES9000 --> VERT
- Silicon Graphics INDIGO XS24 --> BLEU
Ainsi que le montre clairement ces images,
au début des calculs (jusqu'à l'instant 4700
approximativement) les trois ordinateurs
donnent des résultats concordants (les points
matérialisant la position du système sont
alors blancs, parce qu'étant la superposition
presque parfaite de points rouges, verts et
bleus respectivement), puis progressivement,
le Vert et le couple Rouge-Bleu se séparent
(aux environs de l'instant 4980), puis enfin
le Rouge et le Bleu s'échappent l'un de
l'autre (aux environs de l'instant 5040).
Ainsi, au bout d'un temps relativement court,
les trois machines prédisent chacune un
avenir particulier pour le système ; les
résultats sont parfaitement contradictoires
(une bonne partie du temps, ils sont à
l'opposé les uns des autres dans l'espace des
phases) et aucun d'entre eux n'est le bon...
Ce phénomène est dû aux erreurs d'arrondi,
les trois ordinateurs (constitués,
rappelons-le, de matériels et de logiciels)
manipulant les nombres "flottants" chacun à
sa façon (les différences portant, de manières
non exclusives l'une de l'autre, sur les unités
de calcul, sur le format des nombres et sur
l'ordre des opérations). De très nombreux
systèmes exploités en recherche
fondamentale, mais aussi dans l'industrie,
reposent sur des calculs d'un type similaire à
ceux qui sont ici mis en œuvre ; il est donc
essentiel de se prémunir contre ce type
d'erreur (nous proposons une méthode, dite
de réordonnancement des expressions
arithmétiques, qui permet de détecter les
modèles numériques sensibles à la précision
des calculs [42][43]).
5.9.4-Les erreurs de représentation :
De plus, s'il est évident
qu'il n'est pas d'outil neutre,
malheureusement, l'image synthétique,
dans ce contexte est bien trop souvent
considérée comme tel, et l'usage qui en est
fait confond bien souvent l'esthétique et
l'informatif ; il est facile de trouver dans la
littérature scientifique une foule d'images
très colorées (et donc perçues bien souvent
comme très belles par leurs auteurs) et
dont l'examen attentif soulevé une foule de
questions, et par exemple celle-ci qui
revient le plus fréquemment : telle couleur
utilisée de façon périodique est-elle
associée à une grandeur possédant
elle-aussi cette caractéristique ? Rappelons
que l'image produite dans ce contexte est
généralement arbitraire, et qu'en réalité, à
partir d'un même ensemble de données,
une grande quantité de représentations très
différentes pourront être imaginées et
construites. D'autre part, l'œil est sujet à
des illusions d'optique [33],
bien connues,
mais trop souvent oubliées... Il est
possible d'en distinguer quatre classes,
chacune responsable de défauts
d'appréciation :
- les illusions géométriques qui
induisent des déformations purement
subjectives lors de la perception de formes
a priori "parfaites",
- les illusions de luminance,
principalement dûes à l'absence de
référence absolue, et qui interdisent la
comparaison qualitative des luminances de
deux points éloignés et appartenant à notre
champ visuel,
- les illusions de chrominance, liées
à des influences de voisinage, et qui
provoquent des distorsions locales des
couleurs perçues, et enfin,
- les illusions informatiques.
Si les trois premières classes
d'illusions n'ont pas eu à attendre
l'informatique pour être reconnues, la
dernière est, quant à elle, beaucoup plus
récente et doit son origine à la notion de
fausse couleur. La plupart des systèmes de
visualisation offre en effet la possibilité de
colorier et recolorier une image. Et c'est là
l'un des dangers les plus importants, mais
aussi le plus méconnu ou le plus
sous-estimé... La figure 083 présente un
exemple qui a l'avantage de la simplicité et
fait abstraction de toute considération
physique. Il est montré ici à l'aide de
quatre palettes différentes, chacune
permettant de tirer quelques conclusions,
malheureusement incompatibles entre
elles, quant à la structure sous-jacente.
Alors, dans ces conditions, quelle est la
seule et unique visualisation de ce champ
arbitraire ? La réponse est claire : elle
n'existe pas, et aucune n'est complète.
Malheureusement, l'expérience
quotidienne montre que de tels mauvais
usages sont faits de la couleur.
Des considérations précédentes, il
est alors possible de tirer un certain
nombre de leçons : la première est, qu'en
règle générale, il n'est pas de mode de
représentation a priori, et qu'en fait,
plusieurs, seront nécessaires afin d'éviter
des erreurs d'interprétation ou
d'appréhender divers aspects
complémentaires des "objets" représentés.
Ici donc, comme en mécanique quantique,
un principe de complémentarité
s'impose... La seconde leçon est que,
contrairement à une croyance
assez répandue, la visualisation, et en
particulier celle de résultats issus de
modèles numériques, est un "art". Cet art
"nouveau" devra accepter humblement les
conseils issus des pratiques plus
ancestrales ; en particulier des proportions
harmonieuses peuvent être données aux
images en s'inspirant du nombre d'or, ou
encore des suggestions peuvent être
formulées afin de guider le choix des
couleurs [46][47].
Figure 083 :
Un même ensemble
bidimensionnel de valeurs numériques nous
est montré ici à l'aide de quatre palettes
différentes, mais insistons lourdement sur le
fait que les valeurs numériques, elles, restent
strictement inchangées (pour faire une
analogie suggestive, l'opération ici réalisée
est identique à celle qui consisterait à changer
quatre fois la couleur d'une même voiture).
Chacun de ces jeux de couleurs permet de
tirer quelques conclusions quant à la
structure sous-jacente (à titre d'excercice le
lecteur pourra essayer de deviner quelles sont
les valeurs cachées derrière ces bandes de
couleur...) ; malheureusement elles sont
incompatibles entre elles : par exemple, sur
les deux vignettes du bas, le champ semble
uniforme horizontalement, alors que les deux
vignettes du haut montrent des discontinuités
dans la même direction !
5.10-Transformer, combiner :
L'ordinateur, merveilleuse
machine est aussi un esclave infatigable
(pour combien de temps encore ?) ; il peut
ainsi transformer et retransformer à l'infini
des images antérieures, mais il peut aussi
les combiner entre-elles sans limite... De
ces explosions combinatoires naissent bien
souvent des "œuvres" surprenantes ; mais
d'ailleurs sont-elles vraiment issues de la
volonté de leur créateur, et le véritable
créateur qui est-il ? Pour lever cette
ambiguïté, une solution peut être proposée :
elle consiste à qualifier d'œuvre non plus
une image ainsi obtenue, mais bien plutôt
le modèle géniteur ; nous parlerons alors
de préférence d'œuvre potentielle,
puisqu'en général un tel modèle peut en
engendrer une infinité (à entendre ici dans
le sens où la vie d'un homme ne suffirait
pas à les examiner toutes !).
Figure 084 ,
Figure 085 : Ces deux figures nous
présentent chacune seize images résultant
d'un processus dynamique de combinaison
de couples d'images [48]. Dans les deux cas,
ces dernières sont géométriquement très
simples (des barres verticales, des cercles et
des carrés concentriques). Malgré cela, le
résultat peut surprendre par sa richesse,
d'autant plus que l'opération réalisée est ici
des plus élémentaires. De cette constatation,
nous pouvons tirer deux leçons : la première
est qu'encore une fois le simple peut
engendrer le complexe ; quant à la seconde,
elle nous apprend que cette richesse
morphologique peut faire naître la surprise,
et par la-même faire croire en un acte
créatif...
Figure 086 ,
Figure 087 ,
Figure 088 : Ces trois figures
nous montrent l'application des techniques
évoquées précédemment à la production
automatisée de motifs décoratifs (dans le cas
présent, des éléments de mosaïque).
Figure 089 ,
Figure 090 ,
Figure 091 : Ces images nous
montrent la figure 028 combinée à elle-même.
Figure 092 ,
Figure 093 : Ces images nous
montrent les figures 032
et 033 combinées entre
elles.
Figure 094 : Cette image présentent
quelques exemples de la combinaison des
images 004 et 032.
Figure 095 : Cette image présentent
quelques exemples de la combinaison des
images 040 et 058.
5.11-Détourner, pervertir :
L'ensemble des images
présentées précédemment avait pour seuls
objectifs ceux qui étaient indiqués :
concrétiser, présenter, synthétiser,... Si
certaines d'entre-elles possédaient déjà une
certaine valeur plastique, celle-ci n'était
qu'"anecdotique" ; elle était malgré tout le
résultat d'une démarche cohérente de
réalisation destinée à réduire au maximum
les erreurs potentielles d'interprétation et
les conflits culturels, par exemple dans
l'usage qui était fait des couleurs. Mais il
est possible bien entendu d'exploiter ces
images, ou les modèles sous-jacents, à des
fins strictement artistiques : c'est le
détournement, la perversion...
Figure 096 :
Cette figure est le résultat de la
déformation de la figure 009 par une
transformation non linéaire des coordonnées
du type :
x
x --> ---------
2 2
x + y
-y
y --> ---------
2 2
x + y
Figure 097 ,
Figure 098 : Ces deux figures
résultent d'une transformation non linéaire
(en ce qui concerne 098), elle est identique à
celle qui fut utilisée pour la figure 096
appliquée au système de coordonnées
permettant la définition de l'image 045.
Figure 099 :
Cette image est le résultat de la
combinaison des images 097 et 098.
Figure 100 :
Cette image à l'apparence fort
complexe est le résultat de plusieurs
transformations non linéaires de l'image 029,
combinées ensuite entre-elles.
Figure 101 :
Cette figure étrange trouve
son origine dans l'image 077. Rappelons que
celle-ci présentait l'intégration temporelle
d'une suite d'images montrant le mouvement
tridimensionnel de l'attracteur de Lorenz.
L'image 077 ainsi calculée est comme toutes
les images synthétiques, une image
numérique, c'est-à-dire finalement un tableau
de nombres (en toute rigueur, il s'agit en
général de trois tableaux, un par couleur
fondamentale). Une image de synthèse peut
donc, après calcul, être considérée comme un
champ scalaire bidimensionnel : il est donc
possible de lui appliquer les méthodes de
visualisation explicitées pour les figures 047 et
048 (la procédure pouvant être répétée autant
de fois que souhaité).
Figure 102 ,
Figure 103 ,
Figure 104 : Ces trois
images ont été générées à partir de la figure
040 à l'aide de la procédure décrite pour la
figure 101.
Figure 105 ,
Figure 106 : Ces deux images
proviennent de l'atomisation (voir la figure
052 d'une séquence d'évolution du système
décrit pour la figure 009).
5.12-Creer, imaginer, "inimaginer" :
Ainsi, l'artiste détient
la, lui-aussi, un formidable outil
(méta-outil ?) de création, dont les
productions, images de réalités virtuelles
(certains iront jusqu'à parler alors de
nouvelles réalités...), n'ont pas fini
d'étonner, mais aussi d'interroger nos
sens. Mais ces images peuvent-elles être
qualifiées d'œuvres d'art ? La question est
délicate, et seul, peut-être avec le temps, le
public pourra-t-il donner la réponse...
Malgré cela, il ne faut pas oublier qu'une
œuvre d'art peut être bien souvent définie
de façon simpliste comme étant un objet
(au sens large) unique, rare et provoquant
un plaisir sensoriel (visuel ou auditif en
général) à son contact. Une image de
synthèse (pour se limiter aux arts
plastiques) possède-t-elle ces trois
propriétés ? La réponse est, pour certaines
d'entre-elles, oui en ce qui concerne la
satisfaction. Malheureusement, en ce qui
concerne l'unicité, elle est pratiquement
impossible à garantir ; en effet, une telle
œuvre étant en fait un fichier numérique, il
est possible d'en faire autant de versions
que désirées, chacune pouvant circuler
d'un bout à l'autre de la planète à la vitesse
de la lumière ! Enfin pour ce qui est de la
rareté, là aussi nous avons vu la profusion
des productions possibles... Mais la
réponse est peut-être ailleurs : n'est-il pas
possible d'imaginer une forme d'art
entièrement nouvelle pour laquelle les
maîtres sont encore à venir ; cet art pourrait
être tout à la fois multi-sensoriel, interactif,
dynamique,...
Figure 107 : "X".
Figure 108 : "Soleil".
Figure 109 : "Galaxie 1".
Figure 110 : "Galaxie 2".
Figure 111 : "Nombres premiers".
Figure 112 : "Masques".
Figure 113 : "Abstrait 1".
Figure 114 : " Abstrait 2".
Figure 115 : " Abstrait 3".
Figure 116 : " Abstrait 4".
Figure 117 : "Nébuleuse".
Figure 118 : "Perfection".
Figure 119 :
"La génèse" (cette mosaïque
d'images, bien que n'étant pas le résultat
d'expériences virtuelles, est présentée en
conclusion car elle contient quelques unes
des premières images en couleur réalisées par l'auteur en 1974).
CONCLUSION
Longtemps bannie de la réflexion
scientifique, l'image opère actuellement un
retour en force lie de toute évidence aux
possibilités de l'outil informatique. Aide à
l'analyse des résultats produits, champ
expérimental infini, elle est aussi, comme
nous l'avons vu, source de problèmes et
de difficultés : devons-nous pour cette
simple raison la rejeter de nouveau ?
L'absence de l'image comme sa profusion
ont tous deux leurs avantages et leurs
inconvénients, mais la pratique
quotidienne de ces techniques montre que
l'image calculée et interactive est un champ
de découverte qu'aucun autre moyen actuel
de communication ne peut égaler. Celui
qui nierait l'intérêt de cet outil devrait tout
autant refuser à l'astronome l'usage du
télescope pour contempler les cieux et y
découvrir les objets de sa recherche, car en
effet, ces images, dont la vocation est loin
de n'être qu'illustrative et accessoire, sont
des univers nouveaux à explorer et chaque
jour nous apporte des cas de découvertes
qu'elles ont permis d'accomplir [49].
Enfin, il devrait tout autant n'autoriser que
la seule pensée verbale. Mais cette
exigence aurait-elle un sens ? Pour fournir
un élément de réponse à cette
interrogation, contentons-nous de citer
Albert Einstein : " les mots et le langage,
écrits ou parlés, ne semblent pas jouer le
moindre rôle dans le mécanisme de ma
pensée. Les entités psychiques qui servent
d'éléments à la pensée sont certains signes
ou des images plus ou moins claires qui
peuvent à volonté être reproduits et
combinés".
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