Visualisation de la Science
et
Science de la Visualisation
CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
france telecom, France Telecom R&D
[Site Map, Help and Search [Plan du Site, Aide et Recherche]]
[The Y2K Bug [Le bug de l'an 2000]]
[Real Numbers don't exist in Computers and Floating Point Computations aren't safe. [Les Nombres Réels n'existent pas dans les Ordinateurs et les Calculs Flottants ne sont pas sûrs.]]
[N'oubliez pas de visiter Une Machine Virtuelle à Explorer l'Espace-Temps et au-delà où vous trouverez plus de 10.000 images et animations à la frontière de l'Art et de la Science]
(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 26/10/1999 et mise à jour le 03/10/2024 17:20:14 -CEST-)
Mots-Clefs :
Anaglyphes,
Art et Science,
Autostéréogrammes,
Chaos Déterministe,
Création Artistique,
Entrelacs,
Erreurs d'arrondi,
Expérimentation Virtuelle,
Génie Logiciel,
Géométrie Fractale,
Infographie,
Mathématiques,
Mécanique Céleste,
Mécanique Quantique,
Physique,
Sensibilité aux Erreurs d'Arrondi,
Simulation Numérique,
Stéréogrammes,
Synthèse de Phénomènes Naturels,
Synthèse de Texture,
Visualisation Scientifique,
Voyage Virtuel dans l'Espace-Temps.
Au cours de ces dernières années, les
métiers de l'image ont vécu, par
l'introduction des techniques numériques
[01], une série de bouleversements sans
précédents. Si, par la production
cinématographique à grand spectacle, cette
révolution est bien connue du grand public,
il en est une autre qui se fait simultanément
et plus discrètement dans un domaine très
différent, celui de la recherche scientifique et
industrielle, mais dont les racines sont les
mêmes : l'omniprésence de l'ordinateur.
Nous allons montrer dans les lignes qui
suivent que les chercheurs et les ingénieurs
disposent aujourd'hui d'un nouvel outil
permettant de porter plus loin leurs regards
et leurs gestes.
Lever et coucher du Soleil ou encore
chute inexorable des pommes : depuis la
nuit des temps l'homme observe les
régularités et les symétries de son univers.
Pour les décrire, en particulier dans le
domaine de la physique, c'est le langage des
mathématiques qui est utilisé et aujourd'hui,
toutes les grandes lois de la nature sont
exprimées sous la forme d'équations qui
n'ont bien souvent pas d'équivalents dans
nos langues naturelles. Ces équations ne
font pas qu'engranger ou transmettre des
connaissances ; elles permettent aussi d'en
produire de nouvelles [02]. Bien
évidemment, ces prédictions n'ont de sens
que si elles sont ensuite confrontées à
l'expérience ; une théorie scientifique se
devant d'être, par essence, réfutable.
Des modèles mathématiques [03] vont
donc décrire le comportement des systèmes
que les chercheurs et les ingénieurs étudient.
Ainsi qu'il est facile de l'imaginer, ils sont
en général d'une très grande complexité ;
leur étude pourra donc présenter des
difficultés tant théoriques que techniques,
parfois insurmontables, dont l'encadré 1
donne un aperçu. Que faire ? Sommes-nous
alors dans une impasse ? Heureusement, au
cours des années quarante, John Von
Neumann, et beaucoup d'autres, ont
développé les premiers ordinateurs, grâce
auxquels, aujourd'hui, nous sommes
capables de calculer tout et parfois n'importe
quoi, comme nous le verrons par la suite.
Des méthodes dites numériques vont nous
permettre de connaitre les solutions des
équations, non point sous la forme générale
de formules inexistantes ou inaccessibles,
mais sous celle particulière de valeurs
numériques. Cette situation ne doit
d'ailleurs pas nous choquer. N'oublions pas
que l'acte fondamental du scientifique est la
mesure : la réalité ne se manifeste à lui, au
cours des expériences, que par
l'intermédiaire de nombres (des
coordonnées, des vitesses, des
températures,...) ; il n'a jamais accès aux
formules du "Vieux" (pour paraphraser
Albert Einstein...).
Que faire alors des résultats obtenus ?
Dans la cas du problème des N-corps
(revoir l'encadré 1), la situation n'est pas
dramatique, puisque le nombre de valeurs
obtenues n'excède pas quelques dizaines de
milliers. Malgré cela, la contemplation de
celles-ci ne révélerait pas aisément ce qui, en
fait, saute immédiatement aux yeux
lorsqu'elles sont mises en images d'une
façon tout à fait naturelle (c'est-à-dire telle
que les corps étudiés seraient perçus dans
l'espace physique). En effet, la figure 1
montre instantanément et sans effort de
réflexion, que les trajectoires ne sont pas
des ellipses, et même, ne sont pas
périodiques. Il est alors évident, que dans
des situations fréquentes, ou le volume de
résultats s'exprime en milliards (ou
davantage encore), le recours à l'image de
synthèse est incontournable. De plus, ainsi
que cela fut rappelé précédemment, l'acte de
mesure est fondamental ; les expériences qui
sont actuellement menées, par exemple,
avec les accélérateurs de particules ou les
télescopes, donnent elles aussi des
montagnes de résultats numériques.
L'image de synthèse est donc tout aussi utile
dans ce contexte. Il n'est certainement pas
exagéré de dire qu'elle est aux expériences
d'aujourd'hui ce que les aiguilles des
appareils de mesures étaient aux expériences
d'hier.
Avant d'en explorer plus avant les
possibilités, il est bon de montrer dès à
présent les difficultés et les dangers de ces
techniques. Tout reposant sur l'ordinateur,
la programmation sous-jacente
conditionnera bien entendu la qualité, la
valeur et la cohérence des résultats
scientifiques obtenus. Mais une
programmation exempte d'erreurs (sachant
que, en dehors d'exemples simplistes, elle
n'existe malheureusement pas...) est-elle
garante de cette qualité ? Nous allons
montrer qu'il n'en est rien. Trois raisons
vont se conjuguer pour rendre parfois
douteux nos résultats ; en effet,
contrairement peut-être à certaines idées
preconçues, il est difficile d'une part de
calculer à l'aide d'un ordinateur, d'autre part
de visualiser des résultats numériques et
enfin de résister à la tentation de faire des
images spectaculaires sans intérêt
scientifique (ou pédagogique)...
Tout se ramène donc à des calculs
réalisés à l'aide d'ordinateurs. La précision
des opérations [04] est limitée pour des
raisons théoriques, pratiques et
économiques évidentes ; les machines font
donc des erreurs d'arrondi [05]. En toute
généralité, cela fait perdre à l'addition et
surtout à la multiplication leur propriété
d'associativité [06]. Pour des applications de
type bureautique, cela n'a aucune
conséquence perceptible ; par contre, dans le
domaine scientifique, où les résultats sont
transformés et retransformés un nombre de
fois gigantesque, cela peut avoir, dans le
cadre des modèles dits non linéaires, des
implications dramatiques (voir la figure 2).
En ce qui concerne la visualisation,
contrairement à la synthèse d'image
spectaculaire évoquée en introduction, il
s'agit ici de montrer bien souvent des objets
sans image, soit qu'ils n'existent pas dans la
nature (voir la figure 3), soit que, bien que
naturels, il soit impossible, voire interdit, de
les représenter (voir la figure 4) ou encore
tout simplement parce qu'ils n'ont pas
d'équivalents visuels (une pression ou une
température par exemple...). S'il est clair
que montrer un objet à quatre dimensions
est chose difficile (revoir la figure 3), il est
malheureusement moins évident que toute
tentative de représentation, dans ce
domaine, est délicate. La difficulté vient
bien entendu des espaces, en général non
naturels, dans lesquels résident ces objets,
mais surtout de la non unicité des images
que l'on peut en donner : même dans les cas
les plus simples, des ambiguïtés et des
contradictions peuvent surgir (voir la figure 5).
Enfin, il est souvent tellement facile de
calculer de telles images, que le risque peut
être grand de confondre esthétisme et valeur
scientifique : une belle représentation n'est
point nécessairement bonne (voir la figure 6),
alors que, bien souvent, ce critère
d'harmonie est utilisé pour juger une
théorie. Malgré cela, il ne faudrait pas
négliger l'apport de l'Art à la Science. En
effet, il est des codes culturels définis au
cours des siècles passés ; ceux-ci doivent
être respectés ici sous peine, dans le cas
contraire, de produire des visualisations qui
soient en contradiction avec nos mécanismes
perceptifs. A titre d'exemple, une couleur
dite froide (respectivement chaude) est en
général associée à des valeurs numériques
faibles (respectivement élevées) et cette
convention quasi universelle doit ici
s'appliquer.
Une fois avertis de ces dangers, les
scientifiques et les ingénieurs, ont à leur
disposition un nouvel instrument dont les
implications épistémologiques auront au
moins l'importance qu'en a eu la lunette de
Galilée en son temps. Tout ceci débouche
sur le concept d'Expérimentation Virtuelle
[07]. Cette derniere, complémentaire de
l'Expérimentation Réelle [08], consiste donc,
tant dans les domaines scientifique
qu'industriel, à faire des expériences non
point sur un système réel [09], mais sur son
modèle mathématique (voir l'encadré 2) et à
interagir avec ce dernier par l'intermédiaire
d'images de synthèse. Alors, en restant
dans le cadre de légalité des lois de la
nature, tout nous est permis, et par exemple
de créer les univers utiles à nos recherches
(voir les figure 1 et 7).
Bien évidemment de nombreuses
questions surgissent de cette approche.
D'une part, la science et, en particulier, les
mathématiques ont-elles droit à ces images ?
Et d'ailleurs sont-elles utiles ? Le
scientifique ne peut-il se contenter de la
seule pensée verbale et bannir alors toute
aide visuelle ? Un élément de réponse à cette
interrogation est donné par Albert Einstein
dans une lettre qu'il ecrivit à Jacques
Hadamard : "les mots et le langage, écrits ou
parlés, ne semblent pas jouer le moindre
rôle dans le mécanisme de ma pensée. Les
entités psychiques qui servent d'éléments à
la pensée sont certains signes ou des images
plus ou moins claires qui peuvent à volonté
être reproduits et combinés". Il convient de
se souvenir que pendant plusieurs
décennies, un large mouvement
d'abstraction s'est imposé mais que,
l'apparition de nouvelles techniques aidant
(ordinateur et synthèse d'image en
particulier), nous assistons aujourd'hui à un
retour en force de la pensée visuelle. Bien
évidemment tout extrémisme est dangereux,
ici comme ailleurs ; il ne faudrait pas qu'un
mouvement inverse se déclenche et que le
je pense donc je suis
se transforme en un
je calcule et je visualise donc je suis...
A titre d'exemple, rappelons que la géométrie
fractale a très certainement pris l'essor
qu'elle connait actuellement grâce à l'image,
mais que, malgré cela, il n'est jamais de
certitudes visuelles et que les conjectures qui
peuvent être formulées à partir d'une
représentation doivent se voir confirmées ou
infirmées par un théorème ! L'image doit
donc être vue ici simplement comme un
levier intellectuel stimulant et entrainant plus
loin l'imagination du chercheur, rendant
ainsi toute sa noblesse au sens de la vision.
D'autre part, ces univers créés dans nos
ordinateurs ont-ils le statut ontologique de
nouvelles réalités ?
Ces "univers-jouets" avec leurs lois
calquées sur celles de la nature, ou bien avec
d'autres sur lesquelles il nous faut
expérimenter, ne sont-ils pas aussi réels que
celui que nous n'appréhendons finalement
que par les modèles neuronaux créés par
nos sens au cours des âges ? Enfin, ces
images de science, si elles créent bien
souvent la surprise chez ceux qui en ont un
besoin immédiat et professionnel,
interpellent fréquemment la sensibilité du
profane et de l'artiste, signe certain d'un
contenu beaucoup plus riche que les
apparences ne le laisseraient parfois
supposer. Ne sont-elles point alors à
entendre comme un lieu de convergence
entre l'Art et la Science, ou tout reste encore
à voir et à decouvrir ?
[01]
-Les techniques relatives à l'image
numérique peuvent être regroupées en trois
catégories distinctes : la synthèse (consistant à
calculer des représentations visuelles à partir d'un
modèle donné), le traitement (permettant la
manipulation et la transformation,
tout à la fois d'images calculées et d'images numérisées) et enfin la
transmission (assurant le transport et la diffusion).
[02]
-Les exemples historiques de telles
découvertes sont nombreux ; rappelons quelques uns
des plus célèbres :
- En 1846, Urbain Le Verrier découvre, à partir
des équations de Newton, la planète Neptune.
- En 1915, Albert Einstein, utilisant sa théorie
de la Relativité Générale, prévoit la déviation des
rayons lumineux par la matière et c'est en 1919, au
cours d'une eclipse restée fameuse, que Sir Arthur
Stanley Eddington vérifiait, par la mesure, les
prévisions d'Albert Einstein.
- En 1930, Paul Dirac annonce l'existence de
l'anti-électron grâce à la Mécanique Quantique.
[03]
-Le modèle mathématique d'un système,
qu'il est sensé décrire, contient des équations reliant
entre elles les différentes grandeurs caractéristiques
(par exemple des coordonnées), des conditions
initiales (donnant certaines valeurs à l'instant 0) et
enfin des conditions aux limites (précisant, par
exemple, ce qui se passe aux frontières du domaine à
l'intérieur duquel se fait l'étude).
[04]
-La précision est exprimée en nombre de bits
memorisés et manipulés lors des calculs.
Aujourd'hui, le monde scientifique utilise
majoritairement les représentations sur 64 bits.
[05]
-"The subjectivity of computers",
Jean-François COLONNA, Technical Correspondence,
Communications of the ACM, volume 36, numéro
8, page 15-18, 08/1993.
[06]
-La propriété d'associativité d'un opérateur x,
la multiplication par exemple, signifie que pour
trois éléments quelconques A, B et C, l'égalité
(AxB)xC=Ax(BxC) est toujours vérifiée.
[07]
-"Images du Virtuel", Jean-François
COLONNA, Addison-Wesley France, Paris, 1994.
[08]
-Le qualificatif réel étant ici utilisé dans son
sens le plus intuitif et loin de tout débat sur la
notion de Réalité.
[09]
-Cela étant sricto sensu de plus en plus
difficile ; par exemple, quel physicien a déjà touché
une particule élementaire ?
Encadre 1 :
A titre d'exemple de
modèle, examinons brièvement le problème
dit des N corps. Etant donné N objets
massiques, mais supposés ponctuels, il
s'agit d'étudier leurs interactions
gravitationnelles à partir de certaines
conditions initiales définies à l'instant 0 par
l'ensemble des coordonnées et des vitesses.
Cette étude doit donc nous fournir pour tout
instant futur les positions et les vitesses de
chacun de ces corps. Les équations du
problème, dans le cadre de la mécanique
newtonienne, peuvent être écrites facilement
par un élève de terminale S ; mais est-il aisé
d'aller ensuite plus avant ? Grâce à
Johannes Kepler (Astronomia Nova, 1609)
et à sir Isaac Newton (Philosophiae
Naturalis Principia Mathematica, 1687) nous
savons que pour N égal à 2, l'un des deux
corps décrit une ellipse dont l'un des foyers
est le second d'entre eux. Mais pour les
valeurs de N supérieures à 2, que se
passe-t-il ? Pour la réponse à cette question,
il a fallu attendre deux cents ans avec les
travaux de Henri Poincaré (Les méthodes
nouvelles de la mécanique céleste,
1892-1899) ; ce dernier a montré que, bien
que les équations soient "simples" comme
nous l'avons noté précédemment, ce
problème n'avait pas de solution. Ainsi,
nous sommes incapables d'écrire des
formules exactes qui nous donneraient les
informations recherchées (voir la figure 1).
Encadre 2 :
Pour mettre en œuvre le
concept d'Expérimentation Virtuelle, il nous
faut construire un système informatique
approprié. Il peut aujourd'hui reposer sur le
concept de méta-ordinateur, assemblage
logique (mais non physique) de machines de
calcul, de stockage, de visualisation et
d'interaction (pouvant utiliser, en
particulier, les techniques dites de Réalité
Virtuelle), mais aussi d'appareils de mesure
(par exemple, le télescope spatial Hubble).
Ces différentes composantes n'ont pas
besoin d'être physiquement proches l'une
de l'autre ; bien au contraire, elles peuvent
être réparties sur la planète entière,
constituant ainsi des machines, elles-aussi
virtuelles, d'une puissance phénoménale.
Cette ubiquité électronique est aujourd'hui
rendue possible par les réseaux
informatiques, dont le plus connu et le plus
universel est actuellement Internet ; les
lecteurs sont invités
à se connecter au serveur
A VIRTUAL SPACE-TIME TRAVEL MACHINE
qui présente de multiples applications
opérationnelles de l'Expérimentation
Virtuelle, ainsi que de nombreuses
explications complémentaires à cet article.
Son nom, A Virtual Space-Time Travel Machine
(une machine virtuelle à voyager dans l'espace-temps),
a été choisi afin de résumer en une seule
expression les possibilités de certains outils
de la Science contemporaine...
Figure 1 :
Intégration du problème des N corps avec N=4
pour les conditions initiales suivantes (données en unités
MKSA) :
C1={0,0,0}, V1={0,0,0}, M1=1030,
C2={26.1010,0,0}, V2={0,-133.102,0}, M2=1028,
C3={-8.1011,0,0}, V3={0,5.103,0}, M3=2.1027,
C4={-8.1011,5.1010,0}, V4={-960,5.103,0}, M4=735.1020
(ou Ck, Vk et Mk représentent respectivement les
coordonnées, la vitesse et la masse du corps numéro k).
Elles sont visualisées en bas et à gauche, alors que le dernier
instant du calcul apparait en haut et à droite. Le second corps
est proche du premier (l'étoile) et a été choisi très lourd afin
qu'il perturbe fortement les trajectoires des troisième et
quatrième corps, lorsqu'ils se "frôlent". Ces images montrent
qu'alors les trajectoires obtenues sont loin d'être elliptiques et
même périodiques.
Figure 2 :
Intégration du problème des N corps avec les
mêmes conditions initiales et les mêmes conventions que
celles utilisées pour la figure 1. Le même programme C est
alors exécuté sur trois ordinateurs (le Rouge, le Vert et le
Bleu) qui, bien que compatibles, produisent des résultats
incompatibles. D'ou vient alors la différence de
comportement ? Elle provient en fait des compilateurs utilisés
; ces programmes sont destinés à traduire les instructions de
haut-niveau en opérations élémentaires qui, seules, sont
exécutables par les circuits de calcul. Des instructions du type
AxBxC seront traduites comme (AxB)xC par certains d'entre
eux, et par Ax(BxC) par les autres. La perte de la propriété
d'associativité fera ensuite le reste, les erreurs d'arrondi étant
différentes d'une machine à l'autre pour une même étape de
calcul. Celles-ci, au cours du temps, s'amplifieront et finiront
par produire des divergences catastrophiques, ce que ces
images montrent mieux que tout discours sur le sujet.
Figure 3 :
La visualisation d'un ensemble de Julia calculé
dans le corps des Quaternions présente des difficultés
considérables. Il n'est pas question de représenter
directement ses quatre dimensions, puisque nous évoluons
dans un espace aux apparences tridimensionnelles. Un artifice
doit donc être utilisé : dans ce cas précis, seules sont
visualisées seize sections tridimensionnelles obtenues au
cours d'une rotation de 2 pi autour de l'un de ses axes. Cette
opération, difficile à imaginer, peut être mieux comprise en
l'appliquant à un objet de notre espace physique : prenons,
par exemple, un cylindre que nous représenterions par une
coupe effectuée à l'aide d'un plan arbitraire. Si nous
observons l'image de celle-ci alors que le cylindre est en
rotation, nous verrons une figure géométrique se déformer et
présenter alternativement l'apparence d'un rectangle et d'une
ellipse. C'est ce qui est montré ici, le cylindre étant remplacé
par un objet fractal à quatre dimensions, et le plan par un
hyperplan tridimensionnel...
Figure 4 :
l'hydrogène, le plus simple des atomes, bien
qu'il soit parfaitement connu dans le cadre de la Mécanique
Quantique, peut encore nous révéler bien des choses. Cette
séquence de seize images représente l'évolution au cours du
temps, dans certaines conditions qu'il n'est pas utile de
préciser ici, de la densité de probabilité de présence de l'électron dans
l'espace physique. Celle-ci est codée à l'aide de la luminance
de chacun des points de l'image : plus un point est lumineux,
plus l'électron a de chance de se trouver sur la ligne de visée
joignant l'œil de l'observateur à ce point. Ces images sont
extraites d'animations réalisées en collaboration avec
Jean-Louis Basdevant pour le cours de Mécanique Quantique
qu'il enseigne à l'Ecole Polytechnique.
Figure 5 :
La visualisation d'un tableau de nombres
pourrait être considérée, naïvement, comme une opération
élémentaire et bien maitrisée depuis de nombreuses
décennies. En effet, la géographie ou la météorologie font
appel à des couleurs pour représenter des altitudes, des
températures ou encore des pressions. Malheureusement,
cette simplicité n'est qu'apparente : ces quatre images nous
montrent le même ensemble bidimensionnel de nombres, la
seule différence demeurant dans le code des couleurs
utilisées. En effet, pour obtenir ce type de représentation, il
suffit d'associer aux nombres (ou plus généralement à des
plages de valeurs numériques) des couleurs (en appelant aussi
couleur, par abus de langage, le noir, les gris et le blanc) ;
par exemple, il sera décidé arbitrairement de représenter par
du rouge les points associés à des valeurs numériques
comprises entre 1.37 et 3.62. De cet arbitraire naissent les
difficultés ici présentées. De toute évidence, la perception
varie fortement d'une image à l'autre, les conclusions
possibles sur l'unique tableau de nombres sous-jacent
pouvant même être en contradiction les unes avec les autres !
Une sémiologie de la Visualisation Scientifique reste à créer ;
elle serait un lieu de rencontre privilégié entre les artistes et
les scientifiques.
Figure 6 :
Quelle valeur attribuer à une image dite
scientifique ? En plus des erreurs involontaires, inhérentes
aux processus de calcul (revoir la figure 2) et de visualisation
(revoir la figure 5), il peut être tentant de présenter des
images à l'apparence scientifique, mais dont le calcul n'utilise
pas les théories qu'elles sont destinées à illustrer. Ainsi, cette
image (ainsi que ses semblables maintes fois utilisées), est
sensée montrer un nucléon (proton ou neutron) dans le cadre
du modèle de l'interaction forte. Malheureusement, la théorie
n'est pas suffisante, aujourd'hui, pour rendre compte, tout
au moins en des temps de calcul raisonnables, du phénomène
dit de confinement. C'est pourquoi, de nombreux artifices
durent être implémentés afin de reproduire visuellement
celui-ci ; ils représentent environ 80% du programme
nécessaire à ces calculs et ne correspondent à aucune réalité
physique. De telles pratiques ne sont acceptables que dans un
contexte pédagogique, ou l'image n'est plus un intermédiaire
entre le chercheur et son modèle, mais simplement un
support de communication.
Figure 7 :
La géométrie fractale permet de rendre compte
des irrégularités et de la rugosité de nombreux objets et
phénomènes naturels. Ce paysage et tout ce qu'il contient
(montagnes, nuages,..., exception faite du Soleil levant),
sont entièrement calculés à l'aide de quelques grands
principes et par exemple celui d'autosimilarité qui nous révèle
qu'ici le tout est identique aux parties, à un facteur d'échelle
près. Cette image n'est qu'un instant figé à l'intérieur d'une séquence évolutive présentant le lever du jour.
Copyright © Jean-François COLONNA, 1999-2024.
Copyright © France Telecom R&D and CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641 / École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 1999-2024.