En oubliant la rigueur habituelle des mathématiciens, on dira qu'une courbe est continue
s'il est possible de la tracer sans lever le crayon de la feuille de papier.
Or, jusqu'au milieu du XIXe siècle on croyait qu'une telle courbe possédait une tangente en chacun de ses points.
Et puis, soudainement, apparurent sous l'impulsion de mathématiciens
tels Cantor, Peano, Sierpinski, Weierstrass, von Koch et d'autres encore
des "monstres" : des courbes continues sans tangente ! Charles Hermite les considérait d'ailleurs
comme une plaie lamentable qu'il regardait avec effroi.
2.2-LA COURBE DE VON KOCH :
Evidemment, ces courbes ne peuvent être dessinées ni sur une feuille de papier ni sur un écran d'ordinateur car, en effet, dans
le cas contraire, le vecteur vitesse du tracé définirait en chaque point une tangente.
Seules des approximations plus ou moins grossières peuvent donc être présentées. Mais cela ne doit pas choquer : cette situation est fréquente
en Mathématiques. Ainsi on parle de la transcendance du nombre pi, on le manipule, on l'utilise dans des calculs,
mais seules ses premières décimales peuvent être connues et affichées !
L'exemple le plus trivial que l'on puisse donner de tels "monstres" est celui de la courbe de von Koch. Sa définition est en fait donnée par une règle de construction
tout à fait élémentaire que l'on répétera ensuite sans fin (ou presque...). On dit alors que l'on itère.
Le point de départ est un segment. En son tiers central, on dessine un triangle équilatéral
dont on efface ensuite la base. Cette unique et simple règle est ensuite répétée sur les
quatre petits segments que l'on vient d'obtenir. Et ainsi de suite...
On voit que par ce procédé, on ajoute indéfiniment de plus en plus de pointes qui sont de plus en plus petites.
Cette courbe est souvent présentée sous la forme d'un flocon dit de von Koch dont voici
les quatre premières itérations superposées et emboîtées les unes dans les autres.
Le lien entre la courbe de von Koch et les nuages pour lesquels nous cherchons à définir mathématiquement la forme n'est pas évident.
Mais regardons les choses de plus près
en observant maintenant deux propriétés étonnantes de cette courbe et de ses "sœurs".
2.3-LA COHABITATION DU FINI ET DE L'INFINI :
Voici trois étapes de numéro 1,2 et 90 de la construction de cette courbe.
Supposons que le segment de départ marqué en bleu sur cette figure mesure un mètre.
On voit nettement que la longueur du tracé violet à l'itération 2 est supérieure à celle
du tracé rouge à l'itération 1 qui est elle-même plus grande que celle du segment. La longueur
croît au cours des itérations : à chacune de celles-ci, elle est évidemment et simplement multipliée par 4/3.
A l'itération 90 la longueur est donc
égale à 4/3 puissance 90, c'est-à-dire 175.584.548.321 mètres soit plus que la distance de la Terre au Soleil qui vaut environ 150 millions de kilomètres !
Nous sommes donc en présence d'une courbe qui est clairement d'un encombrement fini, alors que sa longueur est à la limite infinie !
Or dans la nature, nombreux sont les objets où cohabitent à la fois le fini et l'infini où dans ce contexte, "infini" signifie "beaucoup".
C'est ainsi le cas des alvéoles pulmonaires dont le volume est faible et inférieur évidemment à
celui de la cage thoracique, alors que la surface totale est comprise entre 100 et 200 mètres carrés chez l'adulte...
2.4-L'AUTOSIMILARITE :
La courbe de von Koch possède une autre propriété extraordinaire : celle de l'autosimilarité.
Cela signifie que la forme globale se retrouve à toutes les échelles d'observation comme le montre ce zoom de rapport 3.
Une telle propriété se rencontre aussi dans de nombreux objets de la nature et en particulier dans
beaucoup d'espèces d'arbres et par exemple les chênes.
Ainsi, en prenant la plus grosse branche marquée en rouge et en la posant par terre, nous obtenons un nouvel arbre, mais
plus petit. Cette opération peut ensuite être répétée plusieurs fois...
Mais dans la nature, évidemment, cette propriété d'autosimilarité
n'est qu'approximative et ne porte que sur un nombre fini d'itérations.
2.5-DEFINITION D'UN OBJET FRACTAL :
On dira qu'on objet est fractal s'il possède les deux propriétés que l'on vient de voir avec la courbe de von Koch :
d'une part la cohabitation de mesures finie et infinie et d'autre part l'autosimilarité. On pourra dire aussi que cet objet est une fractale.
2.6-LES CONTRAINTES DE LA NATURE :
Comme nous l'avons remarqué, on trouve dans la nature des objets possédant les mêmes propriétés que la
courbe de von Koch : ils sont donc fractals.
Mais les alvéoles pulmonaires et les arbres que nous venons de voir ne sont pas les seuls.
C'est aussi le cas des montagnes, des côtes ou encore des nuages.
Et pourquoi en est-il ainsi ? L'exemple des alvéoles pulmonaires permet d'ébaucher une réponse : elles assurent des échanges gazeux. Il
est donc important de maximiser la surface d'échange. Mais d'un autre côté le volume occupé doit être minimal pour des raisons structurelles.
Si la nature avait privilégié
une géométrie plus conventionnelle en donnant à la surface, par exemple,
la forme d'une sphère, celle-ci devrait avoir un diamètre compris entre six et huit mètres.
Il est évident qu'une telle structure ne serait pas viable !
2.7-LA DIMENSION FRACTALE :
Les objets fractals sont de toute évidence complexes, irréguliers, rugueux,...
Il est donc essentiel de disposer d'une mesure de ces propriétés : c'est la dimension fractale.
Pour la définir simplement, il convient de revenir à la notion de volume.
Soit donc un cube K de côté C que l'on suppose entier pour simplifier.
Son volume V est défini par le côté C à la puissance 3 :
3
V = C
On en déduit que 3 est égal au logarithme du volume V divisé par le logarithme du côté C:
log(V)
3 = --------
log(C)
Mais :
- Le volume V est aussi le nombre N de copies
du cube unité U contenus dans le cube K,
- Le côté C est aussi le rapport d'homothétie H permettant de
passer du cube unité U au cube K,
- Enfin, la constante 3 est aussi la dimension D du cube K.
La dimension D est donc égale au logarithme de N divisé par le logarithme de H :
log(N)
D = --------
log(H)
Cette définition peut-être étendue à tout objet
et D est alors appelée dimension fractale.
Dans le cas de la courbe de von Koch le nombre N de copies est égal à 4
et le rapport d'homothétie H à 3.
Sa dimension fractale D est donc égale au logarithme de 4 divisé par le logarithme de 3, c'est-à-dire approximativement 1,26 :
log(4)
D = -------- = 1,261859507142915...
log(3)
Ainsi, la dimension fractale D de la courbe de von Koch est comprise entre 1 et 2.
Cette courbe est donc intermédiaire entre une droite (de dimension D=1) et un plan (de dimension D=2).