D'Euclide au GPS






Jean-François COLONNA
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CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France

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Mots-Clefs : Euclidian Geometry, Géométrie euclidienne, GPS, Relativity, Relativité.



[Voir un résumé]



1-La géométrie euclidienne :

Euclide vivait dans la Grèce antique deux ou trois siècles avant notre ère. Il est universellement connu comme étant l'auteur des Éléments, l'un des plus anciens ouvrages de Mathématiques qui présentait, partant d'axiomes, des théorèmes rigoureusement démontrés.

Ces axiomes [01] étaient considérés par Euclide et de nombreux philosophes, dont Socrate, comme des énoncés, issus de l'expérience, évidents par eux-mêmes et dont la signification ne faisait aucun doute. Ceux de la géométrie dite euclidienne sont : Ensuite à partir d'eux et de théorèmes antérieurs, de nouveaux peuvent être démontrés. L'un des théorèmes les plus fameux est bien certainement le théorème de Pythagore



qui figure d'ailleurs en bonne place dans Les Éléments.

Pendant plus de deux millénaires de très nombreux nouveaux théorèmes de géométrie ont été démontrés, mais malgré cela un intense débat n'aboutissait pas : pouvait-on, oui ou non, faire du cinquième axiome (A5) un théorème ?



Dans un plan, étant donné un point P et une droite D ne passant pas par ce point, il existe une seule droite passant par ce point P et parallèle à la première.


Durant tous ces siècles, il était en quelque sorte à la fois un axiome et une conjecture, mais pour les physiciens, que l'on soit avant



ou après Copernic



une choses était sûre : l'espace était évidemment euclidien et absolu [04]. Il en était ainsi pour Newton et la lumière ne posait alors encore aucun problème...



2-Les géométries non euclidiennes :

A fin du XIXe siècle, grace aux travaux de Gauss, Lobatchevski, Riemann et d'autres encore, il est apparu qu'il était possible de remplacer l'axiome A5 par d'autres donnant alors naissance à de nouvelles géométries non contradictoires, confirmant par là-même que A5 ne pouvait être un théorème de la géométrie euclidienne.

A la place de l'axiome énonçant l'unicité de la parallèle, deux nouveaux axiomes A5 pouvaient donc être utilisés : Avec Euclide, la somme des angles d'un triangle est égale à 180 degrés, mais cela n'est plus vrai avec ces nouvelles géométries : elle est soit supérieure, soit inférieure suivant qu'il s'agit des géométries sphérique ou bien hyperbolique. De plus, tous les résultats métriques, concernant les longueurs, comme le théorème de Pythagore, n'y sont plus valides.

Mais ces nouvelles géométries pouvaient-elles trouver des applications concrètes ?

Nous sommes alors à la charnière des XIXe et XXe siècles et même si William Thomso [05] avait pu déclarer en 1900 : Dans le ciel bleu de la Physique, à l'horizon subsistent seulement deux petits nuages incompris qui ternissent la beauté et la clarté, laissant entendre que, malgré cela, la Physique était "terminée", deux problèmes restaient alors ouverts : d'une part l'interprétation des expériences de Michelson et Morley [06] et d'autre part l'explication de l'incohérence des calculs relatifs au rayonnement du corps noir [07].



3-La Relativité Générale :

Au début du XXe siècle, les physiciens ont alors dorénavant à leur disposition non plus une géométrie, celle qu'ils utilisaient depuis des siècles, mais plusieurs. En 1915, Albert Einstein publie un nouvel article révolutionnaire [08] sur la Relativité Générale où, comme dans la Relativité Restreinte de 1905, l'espace et le temps ne peuvent plus être traités indépendemment mais forme l'espace-temps quadridimensionnel, mais qui de plus est alors un espace courbe permis par les géométries non euclidiennes. L'équation fondamentale montre que simultanément les masses/énergies courbent l'espace-temps et que la courbure de l'espace-temps détermine les trajectoires des masses/énergies :



Très rapidement de nombreux physiciens s'en emparèrent et en particulier Georges Lemaître qui se rendit compte alors que, malgré la croyance d'Albert Einstein, l'Univers ne pouvait pas être statique. En 1929, les observations d'Edwin Hubble (en collaboration avec Milton Humason [09]) et Vesto Melvin Slipher montrèrent que les autres galaxies semblaient s'éloigner de nous, la Voie Lactée, d'autant plus vite qu'elles étaient plus lointaines [10]. L'Univers n'était donc pas statique, mais en expansion et si l'on regarde "le film à l'envers", il doit donc montrer une contraction vers une "singularité" (de dimension nulle et de densité infinie, dans le cadre de la Relativité Générale en ignorant la Mécanique Quantique...). Cette singularité fut surnommée "Big Bang" par Fred Hoyle dans les années 1950 pour dénigrer cette théorie préférant la sienne dite de l'état stationnaire, mais il dont il fut prouvé par la suite qu'elle n'était pas compatible avec les observations et les mesures.

La Relativité Générale permet donc de décrire l'Univers dans son intégralité :



mais aussi des phénomènes difficiles à appréhender tellement ils sont "cataclysmiques" comme les trous noirs ou les ondes gravitationnelles [11] :



Mais dans notre quotidien, la Relativité Générale semble bien inutile et éloignée de nos préoccupations quotidiennes...



4-Le GPS (Global Positionning System) [12] :

Le GPS est un système de positionnement par satellites conçu et développé à l'initiative du Pentagone à partir de la fin des années 1960. Il permet de connaître de façon précise la position d'un point quelconque par rapport à la Terre. Le principe en est élémentaire et repose sur un problème de géométrie euclidienne trivial que nous allons décrire dans un premier temps dans le plan afin d'en simplifier la représentation :



Soit dans un plan un triangle ABC non dégénéré qui va nous servir de référentiel (figure de gauche). Donnons-nous ensuite dans ce même plan un point P dont nous ne connaissons que les distances aux trois sommets du triangle (figure du milieu). Peut-on alors connaître la position du point P ? La réponse est évidemment positive : le point P est à l'intersection des trois cercles de centre et de rayon respectifs {A,B,C} et {AP,BP,CP} (figure de droite).

Dans l'espace, il suffit de remplacer le triangle par un tétraèdre ABCD non dégénéré :



Le point P est à l'intersection des quatre sphères de centres et de rayons respectifs {A,B,C,D} et {AP,BP,CP,DP}.

Maintenant, comment réaliser cela concrètement ? Une pyramide géante est évidemment une idée stupide puisqu'en particulier ses quatre sommets ne pourraient pas être visibles de n'importe quel point du globe. La solution est donc d'utiliser un certain nombre de satellites : quatre sont évidemment insuffisants car, comme pour la pyramide, ils ne pourraient être en vue de tous les points du globe... Il "suffit" donc de mettre en place une constellation. En ce qui concerne le GPS une trentaine de satellites [13] sont utilisés à une altitude de 10.900 miles nautiques [14] et répartis dans six plans inclinés à 55 degrés sur l'équateur. Leur période orbitale est de douze heures..

Ainsi, à tout instant tout observateur (notre point P ci-dessus) à la surface de la Terre a en vue plus de quatre satellites (notre pyramide précédente), mais alors se pose la question de connaître les distances. Même si la solution effectivement utilisée est différente, elle ressemble au principe suivant : remplacer l'évaluation d'une longueur par une mesure de durée. Ainsi, si le satellite A envoie le message : "il est telle heure" (H1) et que celui-ci parvienne au point P à H2, alors la durée de la transmission est égale à H2-H1. Enfin connaissant le vitesse de propagation des messages [15], la distance est triviale à calculer. Evidemment, on néglige ici le fait que le milieu de propagation n'est pas le vide et n'est pas homogène.

L'histoire, peut-être apocryphe, raconte que c'est ainsi que les militaires américains avaient prévus de programmer les satellites mais que certains physiciens les avaient prévenus que cela ne fonctionnerait pas correctement. Malgré tout les satellites furent mis en orbite, les physiciens obtenant que les satellites puissent être reprogrammés depuis la Terre. Et heureusement car, en effet, cela fut nécessaire. Mais quel(s) problème(s) les physiciens avaient-ils soulevés ? Tout "simplement", les effets relativistes avaient été négligés : Evidemment, d'une part, il n'y a aucune raison pour que ces deux effets temporels (-1- de ralentissement et -2- d'accélération) se compensent et d'autre part, ils ne peuvent pas être négligés sous peine d'une perte importante de précision [17].

Ainsi, ces théories que l'on pourrait croire n'avoir d'intérêt que pour décrire des phénomènes hors du commun, comme le Big Bang, les trous noirs ou encore les ondes gravitationnelles, ne peuvent être ignorées dans notre quotidien et elles se retrouvent dans la vie de tous les jours et dans la poche de très nombreux terriens !


Enfin, on notera que le GPS repose donc a priori sur deux des trois piliers de la Physique contemporaine, à savoir les Relativités Restreinte et Générale, comme nous venons de le voir. Mais le troisième pilier, la Mécanique Quantique, n'est pas absent : en effet, d'une part, dans les satellites, dans les cinq stations au sol [18] ainsi que dans les récepteurs portatifs, il y a de très nombreux circuits intégrés qui eux-mêmes contiennent une multitude de transistors, fruits de la Mécanique Quantique. D'autre part, le principe du GPS reposant sur des mesures de temps, il est essentiel de disposer dans les satellites et les stations au sol des horloges les plus précises [19] que seuls les principes de la Mécanique Quantique nous permettent de réaliser. Le GPS est donc l'une des plus belles synthèses de la Physique contemporaine !



5-De l'intérêt de la recherche en Mathématiques :

On distingue et oppose souvent les Mathématiques Pures et les Mathématiques Appliquées. Les Mathématiques Pures trouvent leur source d'inspiration dans des questions très abstraites et déconnectées de la Réalité, alors que les Mathématiques Appliquées répondent quant à elles à des questions bien concrètes posées par la Science et par l'Industrie. On pourrait donc considérer que seules les Mathématiques Appliquées ont un intérêt. Mais comme le montre ce document, il n'en est rien. Par le passé ce débat sur l'axiome des parallèles aurait pu être considéré comme futile, mais qui aurait pu imaginer que plusieurs siècles plus tard il déboucherait sur une application aussi concrète et "démocratisée".

Et aujourd'hui, nul ne sait ce sur quoi pourrait déboucher l'étude des grandes conjectures actuelles et quelles applications révolutionnaires elle pourrait nous offrir ?







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