Le Bug de L'An 2000
[ou les "Faiblesses" de l'Informatique par l'Exemple]






Jean-François COLONNA
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(publié dans la revue Sécurité Informatique du CNRS, numéro 26, 01/09/1999)






AVERTISSEMENT :

Ce site est strictement "personnel" et son auteur est l'unique responsable de son contenu. Il ne reflète donc en aucune façon les positions officielles que l'Ecole Polytechnique et France Telecom ont ou pourraient avoir face aux problèmes qu'il décrit. Enfin, il réside sur un ordinateur appartenant à l'Ecole Polytechnique.



Mots-Clefs : A2M, An 2000, Bogue, Bug, Bugix, Millenium Bug, Year 2000 Problem, Y2K, Y2K Bug.




Le bug de l'an 2000, aujourd'hui bien connu de tous, est la conjonction, dans un court laps de temps, d'un certain nombre d'anomalies de gestion des dates dans les ordinateurs et parmi lesquelles :


Lors du passage du 31/12/1999 au 01/01/2000 de très nombreux systèmes vont donc basculer de l'an 99 à l'an 00 (ou tout autre valeur spécifique à chaque constructeur ou fournisseur) ; Ainsi, des calculs de durée vont se trouver lourdement faussés ou encore des actions périodiques (sauvegardes, recyclages, contrôles,...) ne seront pas déclenchées quand il le faut, des divisions par 0 auront lieu lorsque l'année est utilisée dans les techniques d'accélération dites de hash-coding,... Sans attendre le 31/12/1999, des anomalies sont déjà survenues, par exemple, avec les cartes de crédit ou encore avec le GPS (Navstar Global Positionning System) qui, utilisant un compteur de semaines sur 10 bits, est revenu vingt ans en arrière lors du passage du 21/08/1999 au 22/08/1999 (ce phénomène, parce qu'il fait partie des spécifications initiales, n'a causé aucune catastrophe, mais uniquement des anomalies mineures dans des systèmes d'aide à la navigation automobile).

Si l'énoncé du problème est simple (trop d'ailleurs, ce qui justifie en partie l'incrédulité), le traitement est lui, par contre, purement cauchemardesque. Quelques chiffres, quelques faits et quelques interrogations permettent d'évaluer l'ampleur du chantier :


Comment est-il possible dans ces conditions nous ayons tant tardé pour corriger en temps voulu ces anomalies ? Il est bon de préciser qu'en particulier dans les milieux bancaires le problème est connu depuis bien longtemps. Au niveau du public, dès 1990, Arthur C. Clarke dans son roman Ghost from the grand banks mettait en scène trois sujets d'actualité : l'ensemble de Mandelbrot, le Titanic et le problème de l'an 2000 (The Century Syndrome) ! S'il était peut-être trop tôt en 1990 pour sensibiliser la planète entière, il est très certainement trop tard aujourd'hui. Alors, qui sont les responsables (les coupables ?) ?

Les informaticiens en premier lieu car ils n'ont pas su voir à long terme les conséquences de leur choix (mais nous sommes tous victimes, malheureusement, de cette déficience : les inventeurs de l'automobile, par exemple, ne peuvent être tenus pour responsable de la pollution atmosphérique...) et n'ont peut-être pas eu ensuite la franchise ou le courage d'exposer clairement ces difficultés et leurs conséquences à leurs directions générales. Les grandes associations professionnelles (ACM, IEEE,...) ont d'ailleurs été bien discrètes sur ce sujet : la maintenance n'aurait-elle aucun intérêt ? Tout cela est bien regrettable, car l'aspect positif du problème est qu'il implique nécessairement une meilleure connaissance de nos systèmes informatiques et une modernisation de nos infrastructures lorsque l'on se donne le temps d'agir, alors que la précipitation actuelle ne peut conduire qu'à du rafistolage hâtif, désoptimisé et forcément partiellement erroné ; de nouvelles difficultés sont donc à prévoir ultérieurement ! En effet, certaines solutions utilisés actuellement sont de véritables bombes à retardement (par exemple la méthode dite de l'année pivot), mais il est trop tard pour faire mieux ! N'oublions donc pas demain de revenir définitivement sur ces problèmes.

Les utilisateurs de l'informatique, en particulier ceux qui sont dans ce domaine les plus gros investisseurs (les banques, les assurances,...), ont eux aussi leur part de responsabilité ; ils n'ont fait, lorsque cela fut nécessaire, que le minimum sans penser à demain. Ils auraient pu de plus exercer très tôt une pression suffisante sur leurs fournisseurs (les grands constructeurs,...) pour qu'ils mettent, eux-aussi, en place des outils "compatibles" qui, ainsi, se seraient répandus sans douleur chez tous leurs clients : cela aurait peut-être été la mort du bug dans l'œuf...

Que dire ensuite de la responsabilité des média ? Elle est très certainement considérable : en effet, un événement n'existe que s'il est relaté. Est-il alors concevable que la presse informatique spécialisée, en France particulièrement, n'ait aborde en général ce problème qu'il y a deux ou trois ans ? De plus, l'importance d'un événement est certainement appréciée par le nombre de lignes et de minutes qui lui sont consacrées. A titre d'exemple, dans les journaux, la maladie de la vache folle a été plus fréquemment et plus longuement présentée que le problème de l'An 2000. Est-ce à dire que leurs importances relatives sont dans le même ordre ? Rien n'est moins sûr ; en effet, en ce qui concerne nos ordinateurs les conséquences de cette insouciance pourraient être dramatiques et le temps presse : pour certains qui ne sont pas encore sensibilisés (environ 50% de nos PME/PMI par exemple), il ne reste que quelques semaines pour inventorier, faire les analyses de risque et préparer les plans de secours, corriger et tester les millions de systèmes pour lesquels rien n'a encore été fait. Les raisons de tout cela sont peut-être à rechercher dans l'immatérialité de la plus grande partie de l'informatique (le logiciel)...

Enfin, le monde politique (au niveau international), de par l'ampleur sans précédent du problème, n'est pas non plus lui-même innocent. Or dans notre pays, où le chomage pèse lourdement sur l'économie et sur le moral de nos concitoyens, il est inutile d'ajouter de nouvelles difficultés car, en effet, pour les entreprises les plus sensibles et qui ne seraient pas prêtes à temps, des catastrophes économiques (et donc sociales) sont envisageables. Est-il donc raisonnable d'avoir attendu le mois de février 1998 pour voir Gerard Théry nommé en tant que Monsieur An 2000 et le mois de novembre de cette même année pour que le Premier Ministre prennent les premières mesures ? Est-il possible d'agir à la fois vite et bien ?


Le bug de l'an 2000 n'est pas un argument commercial de plus : il est une véritable épidémie dont chacun de nos systèmes informatiques, visible ou invisible, peut-être la victime. Mais, saisissons nous de cette opportunité pour prendre conscience de notre très grande dépendance de l'ordinateur. Or il y a, malheureusement, une distance énorme entre la pureté du binaire et de ses lois élémentaires, et la "véritable" informatique, celle qui est vécue au quotidien dans nos entreprise, dans nos services publics,... et qui ressemble bien trop souvent à du bricolage ; sa complexité dépasse généralement nos niveaux de maîtrise et de compréhension, et dans certaines circonstances, elle pourrait bien nous échapper. Le bug de l'an 2000 doit donc, avant toute chose, nous servir de leçon : dans l'avenir limitons la complexité, parfois un peu gratuite, de nos systèmes et enseignons, dans le monde de la programmation, l'amour du travail bien fait.

Afin que nos entreprises, nos laboratoires, nos services publics et notre défense nationale, soient prêts à franchir joyeusement et sereinement cette Saint Sylvestre si spéciale, il importe que chacun, aussi bien au niveau professionnel que privé, se sente concerné et responsable...


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