Le Bug de l'An 2000
[ou les "Faiblesses" de l'Informatique par l'Exemple]
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france telecom, France Telecom R&D
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(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 09/02/1999 et mise à jour le 03/10/2024 17:00:37 -CEST-)
(publié dans la revue ID du Conseil National des Ingénieurs et des Scientifiques de France, 01/01/1999)
AVERTISSEMENT :
Ce site est strictement "personnel" et son auteur
est l'unique responsable de son contenu. Il ne reflète donc en aucune façon
les positions officielles que l'Ecole Polytechnique et France Telecom
ont ou pourraient avoir face aux problèmes qu'il décrit.
Enfin, il réside sur un ordinateur appartenant à l'Ecole Polytechnique.
Mots-Clefs : A2M,
An 2000,
Bogue,
Bug,
Bugix,
Millenium Bug,
Year 2000 Problem,
Y2K,
Y2K Bug.
Avant les années quatre-vingt, la mémoire des
ordinateurs était un bien précieux et toute économie la
concernant était justifiée. Reprenant une pratique
antérieure à l'informatique, l'habitude fut prise de coder
et de ne traiter les années qu'en ne conservant leurs
deux derniers chiffres, perdant ainsi toute information
relative au siècle (peut-être d'autres choix plus
judicieux auraient pu être faits si la prévisiblité à long
terme était de ce monde...). Notons que d'autres
sources d'anomalies existent et parmi lesquelles la
méconnaissance fréquente de la notion d'année
bissextile (2000 l'est, contrairement à ce que certains
programment), des divisions par 0 lorsque l'année est
utilisée dans les techniques d'accéleration dites de
hash-coding, ou encore l'utilisation de l'année 99
comme un code spécifique (de fin de fichier par
exemple). C'est la conjonction de toutes ces anomalies
qui est appelée, par abus, Bug de l'an 2000.
Lors du passage du 31/12/1999 au 01/01/2000 de
très nombreux programmes vont donc basculer de l'an
99 à l'an 00 (ou tout autre valeur spécifique à chaque
constructeur ou fournisseur) ; Ainsi, des calculs de
durée vont se trouver lourdement faussés ou encore des
actions périodiques (sauvegardes, recyclages,
contrôles,...) ne seront pas déclenchées quand il le
faut. Sans attendre le 31/12/1999, des anomalies sont
déjà à prévoir dans les mois à venir, par exemple, avec
les cartes de crédit ou encore avec le GPS [Navstar Global Positionning System]
qui, utilisant un compteur
de semaines sur 10 bits, reviendra vingt ans en arrière
lors du passage du 21/08/1999 au 22/08/1999 (même si
ce phénomène est pris en compte, semble-t-il, par les
récepteurs haut de gamme, qu'en est-il des dispositifs
"grands publics" ?) !
Si l'énoncé du problème est simple (trop d'ailleurs,
ce qui justifie en partie l'incrédulité), le traitement est
lui, par contre, purement cauchemardesque. Quelques
chiffres et quelques faits permettent d'évaluer l'ampleur
du travail :
- La planète entière est concernée et tout individu
doit y être sensible aussi bien au niveau professionnel
que personnel (par exemple aux titres d'assuré social et
d'utilisateur des systèmes bancaires).
- Il n'est plus aujourd'hui d'ordinateurs ou de
programmes isolés : toutes nos activités en dépendent ;
nous sommes donc en présence du plus merveilleux
exemple d'effet dominos avec ce gigantesque système
non linéaire et chaotique (imaginons par exemple les
conséquences sur les places boursières...).
- La date est omniprésente (ordinateurs évidemment,
mais aussi dans l'informatique dite enfouie : systèmes
de sécurité, centraux téléphoniques, magnétoscopes,
mais aussi sous-marins nucléaires, missiles, satellites
artificiels à l'accessibilité plus que réduite...).
- Cette maintenance est d'une complexité sans
précédent et sa date d'achèvement ne peut être reportée.
- Environ 100 milliards de lignes de programmes
sont, de par le monde, concernées (4% des sources
sont irrémédiablement perdus, les 96% restants ne sont
parfois pas à jour par rapport aux exécutables
utilisés...).
- Le coût en sera énorme (le chiffre de 1000
milliards de dollars est actuellement avancé pour la
planète entière, auxquels il faudrait ajouter 2000
milliards de dollars au titre des dédommagements).
- Qui informe ? En France, par exemple, les
artisans, les dirigeants de PME sont-ils tous conscients
des dangers courus ? Pourquoi n'a-t-on pas à temps ce
que France Telecom a fait lors du passage de la
numérotation à 10 chiffres, c'est-à-dire une grande et
longue campagne d'information ?
- Qui sera responsable des inévitables dégats (les
assureurs ont donc à s'inquiéter à double titre : en tant
que gros utilisateurs de l'informatique et de par leurs
fonctions...) ?
- Il semblerait que pour 60% des entreprises
américaines concernées et qui n'ont encore rien
entrepris, il soit déjà trop tard !
- Pour les européens, le passage à la monnaie
unique ne vient pas simplifier les choses !
Comment est-il possible dans ces conditions que
peu de choses aient été faites pour corriger en temps
voulu ces anomalies ? Il est bon de préciser qu'en
particulier dans les milieux bancaires le problème est
connu depuis longtemps (les prêts immobiliers, par
exemple, s'étendent parfois sur plusieurs dizaines
d'années). Au niveau du public, dès 1990, Arthur C.
Clarke dans son roman Ghost from the grand banks
mettait en scène trois sujets d'actualité : l'ensemble de
Mandelbrot, le Titanic et le problème de l'an 2000 (The
Century Syndrome) ! S'il était peut-être trop tôt en
1990 pour sensibiliser la planète entière, il est très
certainement trop tard aujourd'hui. Alors, qui sont les
responsables (les coupables ?) ?
Les informaticiens (j'en fait partie et j'assume ma
part de responsabilité, bien qu'œuvrant dans le monde
de l'informatique scientifique où ces problèmes
semblent moins préoccupants, bien que...) en premier
lieu car ils n'ont pas su voir à long terme les
conséquences de leur choix (mais nous sommes tous
victimes, malheureusement, de cette déficience ; la
pollution ou encore le trou dans la couche d'ozone sont
là pour nous le rappeler...) et n'ont peut-être pas eu
ensuite la franchise ou le courage d'exposer clairement
ces difficultés et leurs conséquencès a leurs directions
générales. Les grandes associations professionnelles
(ACM, IEEE,...) se sont d'ailleurs assez peu
manifestées. Tout cela est bien regrettable, car l'aspect
positif du problème est qu'il implique nécessairement
une meilleure connaissance de nos systèmes
informatiques et une modernisation de nos
infrastructures lorsque l'on se donne le temps d'agir,
alors que la précipitation actuelle ne peut conduire qu'à
du rafistolage hâtif, désoptimisé et forcément
partiellement erroné ; de nouvelles difficultés sont donc
à prévoir ultérieurement ! Certaines solutions utilisées
actuellement sont d'ailleurs de véritables bombes a
retardement, et par exemple la méthode dite de l'année
pivot; mais il est trop tard pour faire mieux!
Les utilisateurs de l'informatique, en particulier
ceux qui sont dans ce domaine les plus gros
investisseurs, ont eux aussi leur responsabilité,
lorsqu'ils étaient conscients des difficultés à venir : ils
auraient dû exercer très tôt une pression suffisante sur
leurs fournisseurs, et ainsi servir simultanément la
communauté.
Que dire ensuite de la responsabilité des média ?
Elle est très certainement considérable : en effet, un
événement n'existe que s'il est relaté. Est-il alors
concevable que la presse informatique spécialisée, en
France particulièrement, n'ait abordé en général ce
problème qu'au cours des derniers mois, alors que
pour beaucoup il est peut-être déjà trop tard ? De plus,
l'importance d'un événement est certainement
mesurable par le nombre de lignes ou de minutes qui lui
est consacré. A titre d'exemple, dans les journaux, la
maladie de la vache folle a été plus fréquemment et plus
longuement présentée que le problème de l'An 2000.
Est-ce à dire que leurs importances relatives sont dans
le même ordre ? Rien n'est moins sûr ; en effet, en ce
qui concerne nos ordinateurs les conséquences de cette
insouciance pourraient être dramatiques et le temps
presse : il ne reste que quelques mois pour inventorier,
faire les analyses de risque, corriger et tester les
millions de systèmes pour lesquels rien n'a encore été
fait. Les raisons de tout cela sont peut-être à rechercher
dans la relative immatérialité de l'informatique...
Enfin, le monde politique (au niveau international),
de par l'ampleur sans précédent du problème, n'est pas
non plus lui-même innocent. Lors des précédentes
élections législatives françaises, aucun des candidats
n'a, à ma connaissance, évoqué ce problème. Or dans
notre pays, ou le chômage pèse lourdement sur
l'économie et sur le moral de nos concitoyens, il est
inutile d'ajouter de nouvelles difficultés car, en effet,
pour les entreprises les plus sensibles et qui ne seraient
pas prêtes à temps, des catastrophes économiques (et
donc sociales) sont à prévoir. Est-il donc raisonnable
d'avoir attendu le mois de février 1998 pour voir
Gérard Théry nommé en tant que Monsieur An 2000 ?
Des décisions ont été prises au cours du mois de
novembre de cette année par le Premier Ministre et le
Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie,
mais ne sont-elles pas un peu tardives ? Est-il possible
d'agir à la fois vite et bien ? L'urgence impose donc
que des dispositifs concrets et efficaces soient mis en
place au plus haut niveau de l'Etat afin que toutes nos
entreprises, ainsi que notre administration, nos services
publics et notre défense nationale, soient prêtes à
franchir joyeusement et sereinement cette Saint
Sylvestre si spéciale ; mais surtout, la situation exige
que chacun, aussi bien au niveau professionnel
que privé, se sente concerné et responsable...
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