Pourquoi avons-nous Besoin des Nombres Réels
pour Faire de la Physique ?
CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641, École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, CNRS, France
france telecom, France Telecom R&D
[Site Map, Help and Search [Plan du Site, Aide et Recherche]]
[The Y2K Bug [Le bug de l'an 2000]]
[Real Numbers don't exist in Computers and Floating Point Computations aren't safe. [Les Nombres Réels n'existent pas dans les Ordinateurs et les Calculs Flottants ne sont pas sûrs.]]
[N'oubliez pas de visiter Une Machine Virtuelle à Explorer l'Espace-Temps et au-delà où vous trouverez plus de 10.000 images et animations à la frontière de l'Art et de la Science]
(Site WWW CMAP28 : cette page a été créée le 15/12/1997 et mise à jour le 03/10/2024 17:10:27 -CEST-)
[in english/en anglais]
Résumé : Les mesures en physique sont approximatives,
aux échelles microscopiques notre univers semble quantifié,
alors à quoi sert la précision infinie que nous offrent les Nombres Réels ?
De plus, et en toute généralité, ils ne sont pas représentables dans nos ordinateurs.
Oublier cela peut conduire à des problèmes insurmontables.
Mots-Clefs : Real Numbers.
Plan de ce document :
1-INTRODUCTION :
Le but de la physique est de décrire les mécanismes
de l'Univers à toutes les échelles (question "comment ?").
Donnons quelques ordres de grandeur :
- le rayon de l'Univers visible est de l'ordre de 4.6e+10 années de lumière
(à ne pas confondre avec son âge [1.37e+10 années] et
sans oublier son expansion),
- une année de lumière (appelée aussi très fréquemment
année lumière) vaut environ 9.5e+15 mètres,
- la longueur de Planck (limite au delà de laquelle les effets de la
gravitation deviennent aussi importants que les effets quantiques)
vaut 1.6e-35 mètre. Elle est considérée par certains comme une
limite de même nature que la vitesse de la lumière.
Alors, en prenant la longueur de Planck comme unité de longueur,
le rayon de l'univers visible est de l'ordre de 2.7e+61.
Ainsi, en se limitant à la mesure des distances,
moins de soixante-dix chiffres décimaux sont nécessaires ;
à quoi servent donc les Nombres Réels et la précision infinie qu'ils permettent,
alors que de plus toute mesure est entachée d'erreurs
(sont-ils les "nombres de la nature") ?
La première réponse qui semble se présenter à l'esprit est celle de l'irrationnalité
de certaines constructions -éventuellement élémentaires- : par exemple,
celle de la longueur de la diagonale d'un carré de côte unité. Mais cette mesure
a-t-elle un sens physique (il n'est pas question ici de faire des "mathématiques pures") ?
Il semblerait alors que la réponse vienne de la nécessité de passer de représentations
discrètes à des représentations continues, et ce dans le but de faire
des calculs (par exemple nécessaires à la prédiction de nouveaux phénomènes)
impossibles à faire autrement.
Remarquons au passage que d'autres questions, parfois d'apparence anodine,
peuvent être posées :
- Qu'est-ce que la distance entre deux points et comment se mesure-t-elle ?
- Etant donnés trois points {A,B,C} alignés dans cet
ordre (pour simplifier)
pour lesquels sont connues les deux distances d(A,B)
et d(B,C),
combien vaut d(A,C) ?
- Comment calculer le produit de deux distances (représentant
par exemple une aire) ?
- L'infiniment grand (singularités de l'espace-temps,
ou encore densité d'énergie au "moment" du Big Bang)
et l'infiniment petit (au sens mathématique de ces deux termes)
existent-ils "dans la nature" ?
- etc...
(la première question se pose actuellement dans le cadre des recherches
menées sur la gravitation quantique) ou les points évoqués
sont des points appartenant à l'espace physique et non a des espaces
abstraits et "mathématiques".
2-LE PASSAGE A LA LIMITE :
Pour comprendre cela, prenons l'exemple simple de l'équation de
chaleur dans un milieu monodimensionnel. Soit 'T(x,t)' la température
au point d'abscisse 'x' et à l'instant 't'. Désignons par 'Dx'
un intervalle d'espace suffisamment petit pour que la température y
soit constante. Désignons de plus par 'Dt' une durée, elle-aussi
suffisamment petite, pour que l'on puisse écrire la relation R de proportionnalité suivante :
T(x,t+Dt) - T(x,t) 2 grad(T(x+DX,t)) - grad(T(x,t))
-------------------- = k .--------------------------------
Dt Dx
Cette formule n'a aucune utilité pratique. Pour en tirer quelque chose,
il est nécessaire de faire appel au calcul différentiel ; celui-ci demande
donc un "passage à la limite" obtenu en faisant tendre vers 0
les "quantités" précédentes 'Dx' et 'Dt'. Cela donne l'équation de la chaleur :
dT(x,t) 2
--------- = k .div(grad(T(x,t)))
dt
Quelques remarques et questions s'imposent alors :
- La température est une notion macroscopique,
quel sens physique cela a-t-il donc de considérer la fonction 'T(x,t)'
pour des "volumes" 'Dx' très petits ?
- Alors qu'il s'agit-la d'un problème de physique tout à fait classique,
lorsque 'Dx' et 'Dt' tendent vers 0, ces derniers vont nécessairement nous faire
passer dans l'univers quantique et ses fluctuations (en particulier sur les positions et donc les longueurs),
puis en arrivant à la longueur et au temps
de Planck (1.6 10-35 mètre et 0.5 10-43 seconde respectivement),
là où la gravitation ne peut plus être ignorée.
Puis en deçà, en franchissant ces "barrières" que se passe-t-il physiquement parlant ?
Quel sens physique a donc ce passage à la limite ?
Comment est-il donc possible qu'un processus qui sort de son domaine
de validité donne naissance à une équation qui donne toute "satisfaction" ?
Notons au passage que (même si encore une fois l'exemple précédent ne relève pas
de la Mécanique Quantique) les relations d'indétermination d'Heisenberg
interdisent pratiquement des valeurs infiniment précises, par exemple,
pour la vitesse et la position d'une particule ; malgré cela des quantités
infinitésimales relatives à celles-ci se retrouvent dans les équations de
la physique (équations différentielles et aux dérivées partielles).
- Quel sens donner à la relation R lorsque 'Dx' et 'Dt' franchissent
le seuil des valeurs interdites physiquement évoquées ci-dessus ?
Malgré ces remarques et questions laissées (provisoirement...) sans réponse,
l'équation de la chaleur ainsi obtenue semble être un bon modèle classique de ce phénomène.
Il y a donc la une justification a posteriori du passage à
la limite, mais rien ne vient en démontrer la validité a priori !
Il y a bien là un paradoxe...
3-QUELQUES CONSEQUENCES :
Ainsi, les Nombres Réels semblent incontournables. Malheureusement,
l'étude des équations de la physique mathématique ne peut se faire, en
général, sans faire appel aux ordinateurs. Par définition, ces
machines ne manipulent que des informations quantifiées et finies. Les Nombres Réels
ne peuvent donc y être ni mémorisés, ni manipulés en toute généralité :
les Nombres Réels ne sont pas calculables (au sens mathématique de ce terme).
Oublier ce fait peut avoir des conséquences dramatiques !
Il convient de noter au passage que certaines constantes de la nature sont connues
avec une très grande précision, actuellement voisine de celle des nombre flottants
double précision (64 bits) de nos ordinateurs.
Leurs chiffres les moins significatifs risquent donc d'être ignorés par nos machines...
C'est, par exemple, le cas de la constante de Rydberg qui apparait
dans la spectroscopie d'un atome de noyau de masse infinie :
sa valeur donnée par le NIST -National Institute of Standards and Technology-
est de 10973731.568525(73) m-1.
Au cas où l'infini (les infinis...) n'existerait pas dans l'Univers,
ne pourrait-on alors pas se passer des Nombres Réels en physique mathématique
(notons qu'évidemment cette question est posée sans oublier, par exemple,
l'irrationnalité de la racine carrée de 2, mais il ne s'agit pas ici de faire
des mathématiques, mais de la physique, et dans cette discipline
qu'est la racine carrée de 2...) ?
Une nouvelle arithmétique (de "nouveaux"
nombres et de nouvelles opérations élémentaires -afin, par exemple,
d'évaluer le 'd(A,C)=d(A,B)+d(B,C)' évoqué en introduction-)
adaptée à la physique n'est-elle pas à imaginer ?
Copyright © Jean-François COLONNA, 1997-2024.
Copyright © France Telecom R&D and CMAP (Centre de Mathématiques APpliquées) UMR CNRS 7641 / École polytechnique, Institut Polytechnique de Paris, 1997-2024.