Mouvements Relatifs et Observations Astronomiques

(le géocentrisme revisité)






Jean-François COLONNA
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(publié dans la revue Tangente numéro 128 du 05-06/2009 et dans Mathématiques Astronomie Express de 2009)


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Nos sens semblent nous dire que notre Terre est immobile dans l'espace : en effet, nous ne sentons pas son mouvement. Cela est d'ailleurs fort heureux car, le temps de lire cette phrase, elle s'est déplacée de plusieurs milliers de kilomètres dans son mouvement autour du Soleil, auquel il convient d'ajouter celui du Soleil autour de la Voie Lactée (notre galaxie), ainsi que le déplacement de celle-ci dans l'Univers ! Ainsi, nos sens nous trompent et c'est certainement l'une des raisons pour lesquelles nos ancêtres ont longtemps cru que notre Terre était immobile au centre du Monde. Or depuis des millénaires l'Homme observe les cieux et ses phénomènes pour la plupart réguliers. En particulier, sur la sphère céleste, plusieurs corps se déplacent nettement tout au long de l'année par rapport aux étoiles (ces dernières paraissant quasiment fixes) : ce sont les planètes. Leur mouvement semble complexe ainsi que le montre la figure 1.

Pendant longtemps cette vision du système solaire (dite géocentrique) fut considérée comme la réalité et décrite par le modèle des épicycles de Ptolémée, astronome grec du deuxième siècle de notre ère (voir l'annexe 1), même si avant lui, Aristarque de Samos (~310-230 avant Jésus Christ), ou encore Hypatie d'Alexandrie (quatrième siècle de notre ère), avaient tenté d'imposer, sans succès, l'héliocentrisme. Mais les progrès accomplis en matière d'observation (invention de la lunette astronomique) et de mesure (du temps, des positions,...) rendaient cette description de plus en plus difficilement acceptable et défendable.

Au seizième siècle, en 1543, une révolution éclata : le moine polonais Nicolas Copernic (De revolutionibus orbium caelestium libri VI) mit le Soleil au centre du système solaire, faisant par la-même de notre Terre une planète comme les autres (il comprit aussi que notre planète devait tourner sur elle-même en vingt-quatre heures afin d'expliquer le mouvement -apparent- du Soleil dans notre ciel). Puis en 1609, Johannes Kepler (Astronomia Nova) décrivit la trajectoire des planètes (y compris celle de la Terre évidemment) par des ellipses dont l'un des deux foyers était le Soleil, ainsi que le montre la figure 2. Enfin, en 1687, Sir Isaac Newton publia ses fameux Philisophiae Naturalis Principia Mathematica dans lesquels les lois de la mécanique classique firent leur apparition : la description mathématique du système solaire qu'elles permirent alors est d'ailleurs celle qui fut utilisée pour calculer les différentes figures qui illustrent cet article (voir l'annexe 2).

Mais la déformation apparente des trajectoires des planètes lors de leur observation depuis la Terre ne doit pas nous étonner. Imaginons une scène plus quotidienne : nous sommes immobiles sous la pluie, un jour sans vent. Nous voyons alors les gouttes d'eau tomber verticalement. Montons maintenant dans une voiture animée d'un mouvement uniforme (c'est-a-dire en ligne droite et à vitesse constante) : les gouttes d'eau semblent maintenant suivre une trajectoire oblique, d'autant plus inclinée que le véhicule se déplace plus vite. L'expérience peut être ensuite compliquée à loisir : à bord d'un scenic railway, les gouttes sembleraient décrire des trajectoires fort complexes donnant même parfois l'illusion qu'elles se jouent de la pesanteur !

Ce "simple" changement de point de vue (déplacer le centre du système solaire de la Terre vers le Soleil) a simplifié et unifié la représentation et la description de notre monde proche, mais au prix de la perte de la place privilégiée que l'Homme croyait y occuper. Depuis, cette révolution n'a fait que se poursuivre et s'amplifier puisqu'il est apparu ensuite que notre Soleil n'était qu'une étoile parmi beaucoup d'autres, que notre galaxie n'était qu'une galaxie parmi beaucoup d'autres,... et aujourd'hui d'ailleurs, certains théoriciens imaginent que notre Univers pourrait n'être qu'un "simple" univers parmi beaucoup d'autres...

Ce problème de mouvement relatif n'est évidemment pas propre aux astronomes de la Terre. Il est donc intéressant de voir le ciel qui serait observé depuis les autres planètes, voire depuis des points de vue très différents. Ainsi la figure 3 montre l'évolution de la perception du système solaire en se déplacant de Pluton au Soleil, alors que la figure 4 fait appel à une planète fictive éloignée du Soleil et située en dehors du plan de la trajectoire de la Terre (dit plan de l'écliptique, qui est aussi le plan des trajectoires des huit premières planètes).

Plusieurs leçons peuvent être tirées de ces "expériences". D'une part pour certains systèmes les notions d'ordre et de désordre peuvent être relatives (d'où la notion de chaos virtuel). En effet, ainsi que le montre la figure 4, les trajectoires des planètes du système solaire sont en réalité des ellipses (la situation est ordonnée et régulière), alors que des trajectoires complexes, entrelacées et irrégulières peuvent être observées (la situation semble alors désordonnée et irrégulière). D'autre part, l'observation des cieux a été au cours des millénaires un moteur essentiel de notre évolution en ce qui concerne la science, la philosophie et les religions ; ou en serait aujourd'hui notre civilisation si notre Terre avait été située, telle la planète fictive de la figure 4, en dehors du plan de l'écliptique et plus loin du Soleil (en supposant que la vie ait pu s'y développer) ? Enfin, le chercheur (physicien, astronome,...) est avant toute chose un observateur (et aussi un arpenteur) de l'Univers ; il est donc essentiel qu'il sache aller au-delà des apparences car les "choses" ne sont pas toujours ce qu'elles semblent être !




FIGURE 1 :

Le système solaire géocentrique, c'est-à-dire dans lequel la Terre est située au centre et donc immobile (corps bleu). Le mouvement du Soleil (corps jaune le plus gros) est quasiment circulaire, alors que les planètes (pour simplifier seules Mercure, Venus, et Mars sont représentées) décrivent des trajectoires beaucoup plus complexes possèdant des boucles dites de rétrogradation. Au cours du temps, leur mouvement est fait d'alternances de grandes avancées et de petits reculs.



FIGURE 2 :

Le système solaire héliocentrique, c'est-à-dire dans lequel le Soleil est situé au centre et donc immobile. Comme sur la figure 1, seules les quatre premières planètes -Mercure, Venus, la Terre et Mars- sont représentées. Elles décrivent toutes (la planète bleue -la Terre- y compris) des trajectoires elliptiques (quasiment circulaires).



FIGURE 3 :

En se déplacant de Pluton (image en bas et à gauche) au Soleil (image en haut et à droite), l'observateur voit les ellipses dites keplèriennes se dèformer en des courbes de plus en plus complexes et entrelacèes, mais tout cela n'est qu'apparence, les planètes, quel que soit le point de vue, décrivant en réalité des trajectoires elliptiques !



FIGURE 4 :

Dans le système solaire réel (le plan de l'écliptique apparait nettement, alors que celui de Pluton est incliné par rapport à ce dernier) une planète fictive est introduite (elle est coloriée en vert clair afin d'être distinguée facilement des planètes réelles) en respectant la troisième lois dite de Kepler (le carré de la période de révolution est proportionnel au cube de la mesure du grand axe). Seize trajectoires différentes sont ainsi calculées en faisant varier d'une part leur inclinaison par rapport au plan de l'écliptique et d'autre part leur distance moyenne au Soleil.

Ces seize images montrent les trajectoires apparentes des planètes réelles du système solaire telles qu'elles seraient observées depuis la planète fictive. Seul le Soleil semble décrire une trajectoire régulière (anneau jaune), alors que pour toutes les planètes le bel ordre des épicycles de Ptolémée disparait complètement pour laisser la place à une forme de chaos qualifiable de virtuel. Ainsi pour ce système, la notion d'ordre est relative (à la position de l'observateur).




ANNEXE 1 :

Dans le système de Ptolémée sans et avec équant, chaque planète décrivait à vitesse constante un petit cercle appelé épicycle dont le centre décrivait, lui-aussi à vitesse constante, un cercle plus grand centré sur la Terre (sphère bleue) et appelé déférent (le point appelé équant, différent du centre du déférent et apparaissant au-dessus de celui-ci sous forme d'une sphère grise, est destiné à rendre compte de la variabilité des rétrogradations).



ANNEXE 2 :

Les lois de la mécanique newtonienne utilisée dans cet article pour calculer la trajectoire des planètes sont principalement d'une part celle qui énonce que l'accélération est proportionnelle aux forces appliquées et d'autre part celle qui indique que l'attraction gravitationnelle entre deux corps est proportionnelle à leurs masses respectives et inversement proportionnelle au carré de la distance qui les sépare.

Il est très important de souligner que ce ne sont pas les lois de la Mécanique Céleste qui sont à l'origine de ces trajectoires apparentes "tortueuses" telles celles de cette interpolation de point de vue entre celui du Soleil et celui de Pluton , mais bien uniquement l'existence de mouvements relatifs ainsi que le montre cette image . Les corps qui y sont représentés ne font que décrire des trajectoires circulaires concentriques (le centre de ces cercles figurant le Soleil) suivant des mouvements uniformes (c'est-à-dire à vitesse constante). La vitesse des corps ainsi que les rayons des cercles ont été choisis égaux respectivement à la vitesse moyenne des planètes du système solaire et aux rayons moyens de leurs trajectoires.


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