Le Bug de l'An 2000
[ou les "Faiblesses" de l'Informatique par l'Exemple]






Jean-François COLONNA
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(publié dans la revue ID du Conseil National des Ingénieurs et des Scientifiques de France, 01/01/1999)






AVERTISSEMENT :

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Mots-Clefs : A2M, An 2000, Bogue, Bug, Bugix, Millenium Bug, Year 2000 Problem, Y2K, Y2K Bug.




Avant les années quatre-vingt, la mémoire des ordinateurs était un bien précieux et toute économie la concernant était justifiée. Reprenant une pratique antérieure à l'informatique, l'habitude fut prise de coder et de ne traiter les années qu'en ne conservant leurs deux derniers chiffres, perdant ainsi toute information relative au siècle (peut-être d'autres choix plus judicieux auraient pu être faits si la prévisiblité à long terme était de ce monde...). Notons que d'autres sources d'anomalies existent et parmi lesquelles la méconnaissance fréquente de la notion d'année bissextile (2000 l'est, contrairement à ce que certains programment), des divisions par 0 lorsque l'année est utilisée dans les techniques d'accéleration dites de hash-coding, ou encore l'utilisation de l'année 99 comme un code spécifique (de fin de fichier par exemple). C'est la conjonction de toutes ces anomalies qui est appelée, par abus, Bug de l'an 2000.

Lors du passage du 31/12/1999 au 01/01/2000 de très nombreux programmes vont donc basculer de l'an 99 à l'an 00 (ou tout autre valeur spécifique à chaque constructeur ou fournisseur) ; Ainsi, des calculs de durée vont se trouver lourdement faussés ou encore des actions périodiques (sauvegardes, recyclages, contrôles,...) ne seront pas déclenchées quand il le faut. Sans attendre le 31/12/1999, des anomalies sont déjà à prévoir dans les mois à venir, par exemple, avec les cartes de crédit ou encore avec le GPS [Navstar Global Positionning System] qui, utilisant un compteur de semaines sur 10 bits, reviendra vingt ans en arrière lors du passage du 21/08/1999 au 22/08/1999 (même si ce phénomène est pris en compte, semble-t-il, par les récepteurs haut de gamme, qu'en est-il des dispositifs "grands publics" ?) !

Si l'énoncé du problème est simple (trop d'ailleurs, ce qui justifie en partie l'incrédulité), le traitement est lui, par contre, purement cauchemardesque. Quelques chiffres et quelques faits permettent d'évaluer l'ampleur du travail :


Comment est-il possible dans ces conditions que peu de choses aient été faites pour corriger en temps voulu ces anomalies ? Il est bon de préciser qu'en particulier dans les milieux bancaires le problème est connu depuis longtemps (les prêts immobiliers, par exemple, s'étendent parfois sur plusieurs dizaines d'années). Au niveau du public, dès 1990, Arthur C. Clarke dans son roman Ghost from the grand banks mettait en scène trois sujets d'actualité : l'ensemble de Mandelbrot, le Titanic et le problème de l'an 2000 (The Century Syndrome) ! S'il était peut-être trop tôt en 1990 pour sensibiliser la planète entière, il est très certainement trop tard aujourd'hui. Alors, qui sont les responsables (les coupables ?) ?

Les informaticiens (j'en fait partie et j'assume ma part de responsabilité, bien qu'œuvrant dans le monde de l'informatique scientifique où ces problèmes semblent moins préoccupants, bien que...) en premier lieu car ils n'ont pas su voir à long terme les conséquences de leur choix (mais nous sommes tous victimes, malheureusement, de cette déficience ; la pollution ou encore le trou dans la couche d'ozone sont là pour nous le rappeler...) et n'ont peut-être pas eu ensuite la franchise ou le courage d'exposer clairement ces difficultés et leurs conséquencès a leurs directions générales. Les grandes associations professionnelles (ACM, IEEE,...) se sont d'ailleurs assez peu manifestées. Tout cela est bien regrettable, car l'aspect positif du problème est qu'il implique nécessairement une meilleure connaissance de nos systèmes informatiques et une modernisation de nos infrastructures lorsque l'on se donne le temps d'agir, alors que la précipitation actuelle ne peut conduire qu'à du rafistolage hâtif, désoptimisé et forcément partiellement erroné ; de nouvelles difficultés sont donc à prévoir ultérieurement ! Certaines solutions utilisées actuellement sont d'ailleurs de véritables bombes a retardement, et par exemple la méthode dite de l'année pivot; mais il est trop tard pour faire mieux! Les utilisateurs de l'informatique, en particulier ceux qui sont dans ce domaine les plus gros investisseurs, ont eux aussi leur responsabilité, lorsqu'ils étaient conscients des difficultés à venir : ils auraient dû exercer très tôt une pression suffisante sur leurs fournisseurs, et ainsi servir simultanément la communauté.

Que dire ensuite de la responsabilité des média ? Elle est très certainement considérable : en effet, un événement n'existe que s'il est relaté. Est-il alors concevable que la presse informatique spécialisée, en France particulièrement, n'ait abordé en général ce problème qu'au cours des derniers mois, alors que pour beaucoup il est peut-être déjà trop tard ? De plus, l'importance d'un événement est certainement mesurable par le nombre de lignes ou de minutes qui lui est consacré. A titre d'exemple, dans les journaux, la maladie de la vache folle a été plus fréquemment et plus longuement présentée que le problème de l'An 2000. Est-ce à dire que leurs importances relatives sont dans le même ordre ? Rien n'est moins sûr ; en effet, en ce qui concerne nos ordinateurs les conséquences de cette insouciance pourraient être dramatiques et le temps presse : il ne reste que quelques mois pour inventorier, faire les analyses de risque, corriger et tester les millions de systèmes pour lesquels rien n'a encore été fait. Les raisons de tout cela sont peut-être à rechercher dans la relative immatérialité de l'informatique...

Enfin, le monde politique (au niveau international), de par l'ampleur sans précédent du problème, n'est pas non plus lui-même innocent. Lors des précédentes élections législatives françaises, aucun des candidats n'a, à ma connaissance, évoqué ce problème. Or dans notre pays, ou le chômage pèse lourdement sur l'économie et sur le moral de nos concitoyens, il est inutile d'ajouter de nouvelles difficultés car, en effet, pour les entreprises les plus sensibles et qui ne seraient pas prêtes à temps, des catastrophes économiques (et donc sociales) sont à prévoir. Est-il donc raisonnable d'avoir attendu le mois de février 1998 pour voir Gérard Théry nommé en tant que Monsieur An 2000 ? Des décisions ont été prises au cours du mois de novembre de cette année par le Premier Ministre et le Ministre de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, mais ne sont-elles pas un peu tardives ? Est-il possible d'agir à la fois vite et bien ? L'urgence impose donc que des dispositifs concrets et efficaces soient mis en place au plus haut niveau de l'Etat afin que toutes nos entreprises, ainsi que notre administration, nos services publics et notre défense nationale, soient prêtes à franchir joyeusement et sereinement cette Saint Sylvestre si spéciale ; mais surtout, la situation exige que chacun, aussi bien au niveau professionnel que privé, se sente concerné et responsable...


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